Banques de développement : 2020, les défis de l’alignement avec l’Accord de Paris

Les banques publiques de développement ont un rôle majeur à jouer dans la lutte contre les dérèglements climatiques comme Mark Carney, désormais conseiller spécial finance de la COP26, l’a encore récemment souligné. L’année 2020 sera dense, rythmée par les réunions FMI-Banque Mondiale, un Sommet des Banques de développement en novembre et, évidemment, la COP26. Ian Cochran et Alice Pauthier expliquent les principaux défis – techniques et politiques – que ces institutions financières vont devoir relever pour s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris.

 

Les banques publiques de développement comme la Caisse des Dépôts et l’Agence Française de Développement en France, la KfW en Allemagne, ou encore la Banque Africaine de Développement, la Banque Européenne d’Investissement et la Banque Mondiale, participent activement au financement du développement – et souvent de la « transformation » – des économies nationales conformément aux objectifs de la politique gouvernementale. Elles ont un rôle important à jouer dans la lutte contre les dérèglements climatiques et nombre d’entre elles reconnaissent ce rôle en s’engageant à « aligner » leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris.

 

Depuis 2017, les banques de développement élaborent des principes communs en matière d’alignement qui seront essentiels pour leur propre alignement, mais aussi utiles pour l’ensemble du secteur financier. Toutefois, à ce jour, il n’y a pas de consensus sur ce que signifie s’aligner avec les objectifs de l’Accord de Paris. Pour soutenir l’émergence d’un langage commun sur les défis de l’alignement et le développement de principes nous avons récemment publié une étude: le « bullseye de l’alignement » d’I4CE fournit un cadre commun à tous les acteurs financiers qui fait ressortir les principaux défis à relever pour chaque type d’institution et en particulier pour les banques publiques de développement.

 

La CDC et l’AFD sont membres fondateurs de l’association I4CE

 

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Ne pas nuire

Le premier défi de l‘alignement est de « ne pas nuire ». Au cours des dernières décennies, les banques publiques de développement ont concentré leurs efforts en matière de climat sur le financement de projets favorables à la réduction d’émissions de gaz à effet de serre, comme l’installation d’énergies renouvelables, ou l’efficacité énergétique. Financer de tels projets de développement avec des co-bénéfices pour le climat est essentiel, mais il est également indispensable de ne pas financer en parallèle, par exemple, la construction d’une nouvelle centrale à charbon. Pour s’aligner, il faut donc commencer par ne pas nuire sur l’ensemble de ses activités.

 

Problème : il n’est pas toujours simple de déterminer ce qui est défavorable – ou favorable – au climat. Quid par exemple d’une nouvelle centrale électrique ou au gaz ? Elle est moins émettrice qu’une centrale à charbon mais, à moins qu’elle ne soit fermée plus tôt, à pertes, elle sera encore là dans plusieurs dizaines d’années quand la majorité des pays devront être neutres en carbone. Les investissements dans l’efficacité énergétique posent souvent des questions similaires.

 

Cela montre que pour identifier ce qui est nuisible ou utile, il est essentiel de prendre en compte le long terme pour éviter tout verrouillage technologique, tout comme les circonstances et choix nationaux. Car si une centrale au gaz serait en France en contradiction avec les objectifs 2050 du pays, le serait-elle nécessairement dans un pays avec un faible accès à l’énergie et où le charbon est roi ? Comment le déterminer alors même que de nombreux pays n’ont pas élaboré de stratégies de décarbonation de long terme, ou en tout cas, pas suffisamment ambitieuses ? Sans même parler des enjeux sociaux et des arbitrages qu’il faut parfois faire entre les différents Objectifs de Développement Durable.

 

Bref, déterminer ce qui est défavorable ou favorable au climat n’est pas chose aisée, et les banques de développement peuvent parfois avoir des interprétations différentes d’une même situation. Pour les aider, il est primordial que les pays prennent au sérieux l’exercice de définition de leurs stratégies climatiques de long terme, et que les banques publiques soutiennent ces exercices.

 

À la recherche de l’impact « transformationnel »

Une banque publique de développement alignée devrait « ne pas nuire », c’est pourquoi le financement simultané d’éoliennes et de centrales au charbon ne fera presque jamais de sens. Cependant, les banques de développement devront également s’assurer qu’elles utilisent au mieux les ressources publiques précieuses (et limitées) qui leur sont confiées. Ainsi, quel est l’intérêt pour une banque de développement de financer une éolienne supplémentaire alors que d’autres acteurs financiers pourraient le faire tout aussi bien ? Il est essentiel que les banques de développement se concentrent sur l’impact lorsqu’elles se demandent : comment maximiser leur utilisation des fonds publics ? Comment contribuer au mieux à la transformation des économies ?

 

Cette recherche d’impact « transformationnel » est selon nous un des principaux défis de l’alignement avec l’Accord de Paris. Un défi à ne pas sous-estimer tant les banques de développement, du fait de la structure des objectifs climatiques – notamment le fameux objectifs de 100 milliards – sont habituées à raisonner en volume de financement plutôt qu’en impact.

 

Que signifie en pratique ce changement d’orientation vers l’ « impact » ? Cela implique non seulement d’augmenter le volume de financement, mais aussi, dans certains cas, de repenser les outils de financement à utiliser – et la manière de les utiliser. Pour soutenir le développement des énergies renouvelables, une banque publique peut financer des projets pilotes de nouvelles technologies pas encore matures ou soutenir la planification et la construction d’un réseau électrique capable d’incorporer une proportion croissante d’énergies renouvelables. Elle peut aussi apporter un appui technique et financier aux ministères de l’énergie et des finances locaux, dans le cadre d’un prêt de politique publique, pour les aider à instaurer un mécanisme de soutien public aux énergies renouvelables. Et dans certains cas, elle peut même accompagner la transition des entreprises clefs dans les secteurs carbonés de l’économie en utilisant leur effet de levier en tant qu’actionnaires et financeurs pour les encourager à adopter et mettre en œuvre des stratégies de décarbonisation à court terme.

 

Ces exemples mettent en évidence un autre défi important à nos yeux : le périmètre de l’alignement doit être large, il doit couvrir l’ensemble des opérations d’une banque de développement et être systématiquement intégré dans les relations avec les contreparties. Il ne concerne pas que le financement de projets mais aussi les prêts de politique publique ou encore les financements intermédiés et l’accompagnement des contreparties dans la durée. Il doit concerner tous les outils de financement, aussi bien les prêts que les garanties.

 

Le mandat des banques publiques de développement

L’alignement recèle de nombreux défis : premièrement financer des projets à co-bénéfices climat, mais aussi ne pas nuire et rechercher l’impact le plus transformationnel possible. Deuxièmement faire cela sur l’ensemble de ses opérations et avec l’ensemble de ses contreparties, tout en prenant en compte les contextes nationaux et le long terme. Et la liste continue…  Et nous n’avons mentionné ici que la réduction des émissions de gaz à effet de serre – les banques de développement ne doivent pas oublier que l’adaptation au changement climatique est également un élément essentiel de l’alignement !

 

Nombre de ces défis sont d’ordre technique et méthodologique et il existe heureusement des espaces de dialogue où les institutions financières peuvent partager entre elles leurs questionnements. C’est notamment le cas de l’Initiative Climate Action in Financial Institutions, qui a activement travaillé en 2019 sur le thème de l’alignement avec l’accord de Paris et dont I4CE assure le secrétariat.

 

Bien que ces discussions techniques progressent et occupent souvent, à juste titre, le devant de la scène, il est important de ne pas minimiser l’importance de la dimension plus « politique » de l’alignement. Arrêter de financer de quelque manière que ce soit les énergies fossiles ou privilégier tel modèle de développement sont des décisions qui n’appartiennent plus seulement aux équipes opérationnelles et aux dirigeants des banques publiques de développement. Elles relèvent aussi et surtout de la responsabilité des gouvernements, qui définissent les mandats de ces institutions. Par exemple, si nous voulons garantir l’alignement des activités de la Banque Européenne d’Investissement, les gouvernements européens doivent s’assurer que cela fait explicitement partie des mandats directs et indirects de l’institution – et que les décisions prises par les représentants des pays au conseil d’administration sont conformes à cet objectif.

 

2020 sera une année importante pour le changement climatique, car elle marque le début de la « décennie critique ». Il sera essentiel de mettre sur la table toutes les conditions favorables à l’alignement des institutions financières publiques – qu’elles soient techniques ou politiques.  Le sommet des banques de développement qui se tiendra en novembre 2020 pourrait être une étape majeure à cet égard, sur la voie de la COP26 à Glasgow.

Pour aller plus loin
  • 17/04/2024
    Un alignement ambitieux avec l’Accord de Paris dans les banques publiques de développement

    Lors des Réunions de printemps, au cours d’un événement réunissant des représentants de haut niveau des banques multilatérales de développement, I4CE, E3G, Germanwatch et NewClimate Institute ont apporté leur contribution en publiant leur prise de position sur ce qu’un alignement ambitieux avec les objectifs de l’Accord de Paris voudrait dire pour des institutions financières publiques. Ce document résume des années de recherche sur l’alignement avec l’Accord de Paris afin de mettre en lumière les meilleures pratiques et, espérons-le, d’aider les décideurs à prendre et à mettre en œuvre des engagements crédibles en matière de climat.

  • 08/03/2024
    Sortie des énergies fossiles : vers un rôle plus important pour les Banques de développement

    Il y a quelques mois, la COP28 appelait à accélérer les efforts  « pour la réduction progressive de la production d’électricité à base de charbon ». Limiter la hausse des températures à 1.5°C nécessite d’arrêter la construction de nouvelles centrales à charbon, c’est évident. Mais il faut aussi fermer les centrales existantes avant leur fin de vie, ce qui peut être plus difficile. Les banques publiques de développement (BPD) doivent contribuer à lever les barrières à la sortie du charbon et accompagner les pays dans leur transition vers des systèmes d’électricité décarbonés. Ces banques sont de plus en plus nombreuses à élaborer des stratégies pour accélérer la fermeture des centrales à charbon. Cependant, ces efforts peuvent présenter des risques. 

  • 07/03/2024
    Financer la sortie du charbon : le rôle des Banques publiques de développement dans le retrait anticipé des centrales à charbon

    Les banques publiques de développement peuvent faciliter la sortie du charbon et la transition vers des alternatives renouvelables dans les pays en développement et émergents, en favorisant les conditions propices au retrait anticipé et à la reconversion des centrales à charbon. Les défis associés à ce retrait anticipé ainsi que le rôle des banques publiques de développement lorsqu’elles interviennent auprès des gouvernements nationaux et des producteurs d’électricité nationaux et indépendants sont explorés dans cette publication, rédigée en collaboration avec NewClimate Institute. 

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