Intégrer les plans de transition au Pilier 2

1 juin 2022 - Tribune - Par : Julie EVAIN

En tant que financeur principal de l’économie française et européenne, les banques jouent un rôle essentiel dans le financement de la lutte contre le changement climatique. Pour accélérer leur mutation et prévenir les risques climatiques, plusieurs réformes de la réglementation prudentielle sont actuellement en débat. Afin de nourrir ces réflexions, I4CE a publié récemment des études sur deux des réformes sur la table : celle des exigences prudentielles, et l’obligation pour les banques de publier des plans de transition. Que faut-il en retenir ?

 

 

Exigences prudentielles

Les exigences prudentielles ont pour but de protéger la stabilité financière, en obligeant les banques à provisionner des réserves pour faire face à différents risques. Deux visions s’opposent sur le climat, entre les partisans d’un Green Supporting Factor (GSF) et ceux d’un Penalising Factor (PF). Les premiers, principalement issus de la sphère bancaire, plaident que les actifs ≪ verts ≫ sont moins risqués, ce qui justifierait un allègement prudentiel. Les seconds, à savoir les régulateurs et chercheurs, mettent en avant que le différentiel de risque entre actifs verts et actifs normaux n’est pas démontré, mais qu’en revanche les activités pénalisantes – énergies fossiles, aéronautique, automobile thermique, etc – sont plus exposées aux risques de transition. Cet argument est la base théorique pour pénaliser des activités carbo-intensives avec un PF.

 

Au-delà des débats sur l’existence d’un différentiel de risques, se pose l’enjeu plus politique de savoir si ces instruments seraient pertinents pour accroitre la contribution des banques au financement de la transition. C’est sur ce point que l’étude d’I4CE apporte de nouveaux résultats. Elle détermine quels seraient les impacts d’un GSF ou d’un PF sur le financement des projets, sur la rentabilité interne des banques, et sur la croissance ou la contraction du crédit. A partir d’une modélisation quantitative, l’ensemble de la chaine d’impact a été retracée depuis une modification des règles prudentielles jusqu’au financement d’un projet.

 

Il en ressort que les effets d’un GSF (même fort) sont trop faibles pour déclencher de nouveaux projets sur l’ensemble des secteurs de la transition. Un GSF ne permet pas non plus d’augmenter significativement le volume des crédits verts. S’agissant du PF, il devrait être à la fois fort et s’appliquer à un périmètre restreint pour accélérer la sortie programmée de certaines activités fossiles, tout en limitant les effets de contraction de l’ensemble des crédits. Un PF plus large peut avoir des impacts négatifs sur la transition.

 

Les exigences de capital sont donc peut-être une réponse à une problématique de risques, mais à l’exception de certains cas précis leur impact sur le financement de la transition est limité. Face à ce constat, I4CEs’est intéressé à une autre proposition qui fait de plus en plus parler : les plans de transition et leur intégration au sein du Pilier 2.

 

 

Plans de transition pour les banques

Avant d’évoquer cette proposition, revenons sur son origine. Plusieurs travaux récents montrent les risques auxquels sont exposés les banques en cas de transition désordonnée ou retardée. Le meilleur moyen de les circonscrire et de favoriser la mise en œuvre d’une transition ordonnée, dès maintenant, et les superviseurs ont un rôle à jouer.

 

Leurs initiatives existantes ont portées sur la transparence et sur les stress-tests climatiques. Ces avancées sont importantes mais elles n’ont pas permis d’impulser une réelle évolution des pratiques bancaires. D’où l’idée d’un renforcement à opérer au sein du Pilier 2 et du Processus de Surveillance et d’Evaluation Prudentielle (SREP), grâce aux plans de transitions des banques.

 

Les modalités d’un plan de transition bancaire restent encore à définir. Selon I4CE, trois dimensions sont essentielles et doivent être définies dans la réglementation : le contenu des plans de transition, le périmètre d’application et les procédures de mise en œuvre interne. En cas de non-conformité, les superviseurs disposent d’une large palette d’actions qu’ils pourraient utiliser graduellement : actions en matière de formation, de gouvernance, de gestion des risques, de rémunération, limites de concentration dans certains secteurs, etc. Si ces actions se révélaient être insuffisantes, les superviseurs pourraient également imposer des exigences supplémentaires de fonds propres.

 

Le paquet bancaire prévoit de rendre les plans de transition obligatoires. Mais les formulations doivent être encore précisées et être complétées par des textes de niveau 2 définissant le contenu, le périmètre d’application et la gouvernance des plans de transition. Enfin, l’EBA ne doit pas être la seule institution en charge, mais elle doit être accompagnée par des agences environnementales ou par l’EFRAG. Pour opérationnaliser cette proposition, il faut aussi aborder les questions de clarification du mandat des superviseurs, de la certification des plans et les enjeux de ressources humaines chez les superviseurs.

 

En conclusion, pour assurer la mise en œuvre d’une transition ordonnée, la combinaison d’un Penalising Factor restreint et l’intégration des plans de transition dans le SREP apparaissent comme des outils opportuns.

Contacts I4CE
Julie EVAIN
Julie EVAIN
Chercheuse – Règlementation financière, Plans de transition prudentiels Email
Pour aller plus loin
  • 25/04/2024
    Recommandations d’I4CE à l’Autorité bancaire européenne sur les plans de transition prudentiels

    L’Autorité bancaire européenne (EBA) clarifie la manière dont les banques doivent élaborer et mettre en œuvre leur « plan de transition », comme l’exige la réglementation prudentielle de l’Union Européenne (UE). Le plan de transition est la feuille de route stratégique de la banque, pour préparer une transition vers une économie durable telle que définie par les juridictions dans lesquelles elle opère, y compris une économie européenne neutre sur le plan climatique. Il a été introduit dans plusieurs cadres réglementaires de l’UE, notamment en tant qu’obligation de reporting découlant de la directive européenne CSRD. Le cadre prudentiel et l’EBA se concentrent sur un aspect spécifique : la manière dont les banques prévoient de gérer leurs risques financiers liés à la transition. L’encadrement de ces plans par l’EBA sera essentiel pour déterminer si les banques gèrent leurs risques financiers de manière cohérente avec le besoin plus large de financer la transition vers une économie bas carbone.

  • 11/04/2024
    Recommandations d’I4CE au Comité de Bâle sur la divulgation des risques liés au climat

    Après une première étape en 2022, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire s’oriente enfin vers une réglementation des risques liés au climat. Fondé en 1974, ce forum réunit les superviseurs financiers des pays du G20 et établit des normes communes pour la stabilité financière. Il y a deux ans, le comité a publié un document consultatif sur les principes de gestion et de surveillance des risques climatiques. Il prend maintenant des mesures supplémentaires en s’orientant vers la réglementation.
    Ce document de consultation publique, publié en novembre 2023, vise à intégrer les risques financiers liés au climat dans le cadre de la divulgation d’informations (pilier 3). Dans le cadre de cette consultation, les experts finance d’I4CE ont adressé leurs recommandations au Comité en mars 2024.

  • 22/03/2024
    5 ans de politique climatique européenne : Quel bilan ? Quelles perspectives ?

    Les élections européennes approchent, et avec elles la crainte d’un retour en arrière sur les politiques climatiques. Quelle que soit l’issue de ces élections, à I4CE nous continuerons à produire de l’expertise pour faire avancer les politiques climatiques en Europe. C’est ce que nous avons fait ce lundi, lors d’une conférence organisée avec l’Institut Jacques Delors et Strategic Perspectives. Autour de trois tables rondes disponibles en replay, nous avons cherché à tirer le bilan du Pacte vert et à tracer des perspectives pour la suite, avec trois questions phares : Comment faire émerger un nouveau mode de gouvernance ? Comment rendre la transition accessible à tous ? Quels besoins d’investissements et quel rôle pour le financement privé ?

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