Quatre leviers pour relancer l’électrification des véhicules

20 juin 2025 - Billet d'analyse - Par : Sirine OUSACI

À l’heure de la préparation du budget pour 2026, le gouvernement se trouve face à un arbitrage délicat : comment accélérer l’électrification du parc automobile, que ce soit pour décarboner ou réduire les importations de pétrole, alors que les ventes stagnent et que le contexte budgétaire s’annonce de nouveau très contraint ? Dans ce billet, nous revenons sur les politiques mises en place au cours des dernières années pour favoriser le déploiement des véhicules électriques, et sur les limites qu’elles rencontrent. Nous identifions quatre leviers à actionner pour éviter l’impasse : poursuivre l’électrification des flottes professionnelles, maintenir la réglementation sur les constructeurs, stabiliser le bonus écologique et le financer via le budget de l’État, et enfin augmenter l’ambition d’un leasing social réformé pour les ménages modestes et les classes moyennes.   

 

Après avoir décollé à partir de 2020 les ventes de véhicules électriques stagnent 

Les voitures électriques ont véritablement percé à partir de 2020. Alors qu’elles ne représentaient que 2% des immatriculations de voitures particulières neuves en 2019, leur part a ensuite progressivement augmenté jusqu’à atteindre 17% en 2023, avec une offre de plus en plus diversifiée et une meilleure autonomie des modèles. Ces véhicules ont principalement été acquis par les ménages aisés et les entreprises, qui représentent ensemble 60% des ventes (chiffre de 2022). En parallèle, les ventes de voitures électriques d’occasion ont également pris leur envol avec une augmentation de plus de 50% entre 2023 et 2024.  

 

Immatriculations de voitures particulières neuves entre 2011 et 2024

 

La stagnation des ventes observée en 2024 est inquiétante. Dans un contexte de léger repli des ventes de voitures particulières neuves entre 2023 et 2024, la part de l’électrique a stagné à 17%. De plus, une forte incertitude pèse sur 2025, sur fond de remise en cause des réglementations européennes incitant à la vente de voitures électriques. Or pour espérer atteindre 15% de voitures électriques dans le parc automobile d’ici 2030 en accord avec la Stratégie nationale bas carbone – contre seulement 2% aujourd’hui –, une accélération des ventes est indispensable. L’enjeu est également vital pour la filière des bornes de recharge : elles ne trouveront pas leur équilibre économique avec si peu de véhicules en circulation. 

 

Plusieurs politiques publiques ont été mises en place pour favoriser le déploiement de l’électrique mais rencontrent aujourd’hui des limites  

Du côté de l’offre de véhicules : la réglementation européenne «Corporate Average Fuel Economy » (CAFE) impose aux constructeurs des seuils d’émissions de CO2 moyens sur leurs ventes de véhicules neufs, les incitant à vendre davantage de voitures électriques. L’entrée en vigueur des premiers objectifs en 2020 a ainsi participé à l’envolée des immatriculations de véhicules électriques. Cette réglementation est toutefois remise en question aujourd’hui, notamment par certains constructeurs, qui ont obtenu en début d’année un étalement de l’objectif de 2025 sur 3 ans. En parallèle, certains acteurs appellent à assouplir l’objectif de 100% véhicules neufs «  zéro émission  » en 2035.   

 

De plus, le score environnemental, introduit en 2024 en France, a pour but de soutenir l’offre de véhicules électriques produits sur le territoire européen, en conditionnant l’attribution des aides à l’empreinte carbone des véhicules, et vise ainsi à assurer les bases productives nécessaires à l’électrification du parc français.  

 

Du côté de la demande de véhicules, l’État a longtemps soutenu l’acquisition de voitures électriques. Les programmes d’aides ont attribué durant les quinze dernières années des montants individuels de plus en plus élevés pour tous les ménages jusqu’en 2023 et de plus en plus ciblés vers les ménages modestes et les classes moyennes. Mais cette augmentation des aides a été en partie contrebalancée par l’augmentation du prix des voitures, comme le montre notre récente étude. En effet, malgré la forte diminution du coût des batteries, les constructeurs ont jusqu’à récemment priorisé des modèles de voitures de plus en plus gros et onéreux. Depuis 2024, les aides à l’achat ont plutôt eu tendance à diminuer : suppression du bonus pour les voitures d’occasion et introduction du score environnemental en 2024 (qui rend inéligible aux aides les modèles dont l’empreinte carbone est trop élevée), fin de la prime à la conversion et diminution du bonus en 2025. Cette baisse n’a pas toujours été compensée par la récente diminution du prix des voitures électriques, selon les modèles. Pour un ménage des classes moyennes, l’achat d’une voiture électrique permet tout de même une baisse de son budget mobilité par rapport à l’achat d’une voiture thermique. Enfin, en 2024, l’État a également introduit le nouveau dispositif du leasing social, qui a permis à 50 000 ménages modestes de louer une voiture électrique pour un loyer relativement faible, permettant de diminuer leur budget mobilité par rapport à une voiture thermique. Le programme a toutefois rencontré des limites lors de sa première édition : un coût unitaire élevé par ménage (13 000 euros en 2024), et des difficultés à toucher les ménages les plus précaires et enclavés. À celles-ci s’ajoute le risque que le ménage repasse à une voiture thermique au terme du contrat si le dispositif n’est pas reconduit dans le temps, et que les conditions de rachat ne sont pas assez avantageuses. 

 

Dans ce contexte budgétaire de plus en plus contraint, l’État a aussi commencé à s’intéresser aux flottes des grandes entreprises, un levier particulièrement pertinent pour électrifier le parc. Et pour cause : les entreprises achètent plus de la moitié des voitures neuves et concentrent près de 80% des immatriculations neuves lorsqu’on inclut les véhicules en leasing. Leur rôle est donc central dans l’électrification du parc, d’autant plus qu’en renouvelant leurs véhicules tous les trois à quatre ans, elles alimentent le marché de l’occasion dans lequel les ménages se fournissent en grande majorité. Des quotas de verdissement obligatoires lors du renouvellement de leur flotte sont entrés en vigueur en 2022 mais ils sont peu respectés. Les entreprises accusent ainsi un retard dans leur rythme d’électrification par rapport aux ménages. Une nouvelle taxe incitative introduite dans le projet de loi de finances de 2025 s’appliquera dès cette année aux entreprises ne respectant pas les objectifs de verdissement des flottes professionnelles. Son montant sera notamment calculé à partir du nombre de véhicules à faibles émissions manquants par rapport à l’objectif.  

 

Quatre leviers à actionner pour relancer les ventes 

Pour tenter de naviguer entre contrainte budgétaire, objectifs de décarbonation et de réduction des importations, et turbulences de la filière, nous identifions quatre leviers à actionner pour éviter l’impasse.  

 

Tout d’abord, au vu du contexte budgétaire, les leviers réglementaires et fiscaux doivent continuer d’être actionnés.  

 

Poursuivre l’électrification des flottes d’entreprises.  

Les récentes évolutions autour des sanctions pour les entreprises ne respectant pas les quotas de verdissement devraient permettre d’accroître l’efficacité de cette politique si des moyens effectifs de contrôle sont bien mis en place et que la menace de la taxe est réelle. Ce dispositif pourrait également être amélioré en excluant par exemple les véhicules hybrides de l’objectif. Il est aussi possible de jouer sur la fiscalité des entreprises : le cadre fiscal actuel limite en effet l’avantage économique de la voiture électrique par rapport à la voiture thermique pour les entreprises. En particulier, les règles de déductibilité de l’amortissement des véhicules de l’impôt sur les sociétés, et d’abattement de l’avantage en nature, sont trop peu incitatives et subventionnent encore indirectement l’achat de véhicules thermiques (voir l’étude de T&E, 2024). La révision de ces règles aurait deux bénéfices : amplifier l’avantage économique du véhicule électrique, et augmenter les recettes fiscales de l’État, pour financer par exemple les aides à l’achat de véhicules propres. 

 

Maintenir la réglementation visant les constructeurs.  

Les débats autour de l’objectif 2025 de réduction d’émissions de CO2 des voitures neuves, ainsi que les flexibilités consenties à l’issue des dialogues stratégiques, ont jeté le flou sur les perspectives pour la voiture électrique. Des débats ont également émergé autour de l’interdiction de ventes de voitures thermiques neuves en 2035. Pourtant, ces réglementations sont nécessaires pour donner de la visibilité aux constructeurs automobiles, dont l’offre est déterminante pour le marché. Ces normes incitent notamment les constructeurs à proposer des modèles électriques plus abordables. 

 

Mais malgré le contexte budgétaire compliqué, le déploiement des véhicules électriques reste aussi une affaire de financement public, qui peut prendre la forme d’une dépense budgétaire ou d’une dépense extra-budgétaire via les Certificats d’Économie d’Énergie (CEE).

 

Stabiliser l’enveloppe du bonus et son financement via le budget de l’État.  

Dans un contexte budgétaire contraint, il est tentant de diminuer davantage le bonus. D’autant plus que pour les ménages aisés, principaux bénéficiaires de cette aide, le passage à l’électrique est déjà plutôt abordable même sans aides, et que les leviers réglementaires et fiscaux – permettront à terme de diminuer le prix des voitures électriques neuves. Il nous semble toutefois important de ne pas couper brutalement l’enveloppe, qui a déjà subi une baisse significative, mais de s’assurer dans un premier temps que les politiques relais réglementaires et fiscales permettent bien de relancer la dynamique de la filière.  

 

Il est aussi très tentant dans ce contexte budgétaire de débudgétiser le bonus au profit des certificats d’économies d’énergie, comme pour de nombreux autres programmes d’aides à la mobilité (bonus poids lourds en 2024, bonus pour les véhicules utilitaires début 2025, ou encore bonus pour les voitures neuves et leasing social attendus prochainement en 2025).  Il y a pourtant de nombreuses limites à cette débudgétisation. D’abord, on a  le risque que l’enveloppe totale des CEE ne suffise pas à couvrir tous ces nouveaux usages, malgré la hausse de 25% annoncée pour la 6ème période et un nettoyage des fiches. La rénovation des logements et d’autres usages lorgnent aussi sur cette manne extrabudgétaire, qui ne pourra pas pallier toutes les coupes budgétaires. La débudgétisation au profit des CEE va par ailleurs totalement à l’encontre de l’esprit initial du bonus-malus, consistant à taxer l’achat de véhicules thermiques et aider en contrepartie les ménages à acquérir des véhicules plus propres, gage d’acceptabilité pour les citoyens. Les recettes du malus sont aujourd’hui bien supérieures aux dépenses pour le bonus et le transfert des aides à la mobilité vers les CEE, qui pèsent sur les factures énergétiques, reviendrait finalement à faire payer les ménages deux fois. Enfin, tout en perdant le contrôle parlementaire de la politique d’électrification des véhicules, on conditionnerait à l’avenir une hausse des aides à la transition à une hausse sur la facture des ménages.  

 

Prioriser les ménages modestes et les classes moyennes à travers le leasing social.  

Pour les ménages modestes et une partie des classes moyennes, on ne peut pas se permettre d’attendre une diminution des prix des véhicules neufs puis d’occasion grâce aux normes sur les constructeurs et au verdissement des flottes professionnelles. Rendre dès maintenant la mobilité électrique accessible à ces ménages, qui possèdent 70% du parc de voitures particulières, est essentiel à l’atteinte de nos objectifs climatiques, tout en contribuant à réduire leur vulnérabilité face aux potentielles futures hausses des prix des carburants et en envoyant un message : le véhicule électrique n’est pas «un truc de riches». Le leasing social a permis en 2024 de rendre accessible la mobilité électrique aux ménages qui en ont bénéficié, et malgré les limites que nous avons exposées plus haut, aucun dispositif réglementaire ou fiscal ne permettrait autant de lever la barrière à l’investissement dans la mobilité électrique pour des ménages souvent peu solvables. L’édition 2025 du leasing social est attendue à l’automne, de nouveau réservée aux voitures neuves et avec une nécessaire baisse de l’aide individuelle, cette fois subventionnée par les CEE. On peut raisonnablement s’attendre à une hausse des loyers au-dessus des 100 euros par mois promis initialement. On peut toutefois regretter que le nombre de ménages bénéficiaires stagne à 50 000, comme en 2024, malgré une forte réduction du coût unitaire du dispositif et l’arrivée de nouveaux modèles d’entrée de gamme moins onéreux sur le marché. L’enjeu critique pour la troisième édition du leasing social en 2026, sera d’augmenter le nombre de ménages couverts, pour contribuer à massifier la nécessaire électrification du parc de véhicules. 

Contacts I4CE
Sirine OUSACI
Sirine OUSACI
Chargée de recherche – Financement de la transition juste Email
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