Automobile : mettons le signal-prix carbone au bon moment

22 mai 2020 - Billet d'analyse - Par : Dr. Quentin PERRIER

Le gouvernement devrait présenter dans les prochains jours un plan de soutien au secteur automobile. Ces aides sont nécessaires pour une industrie aujourd’hui à l’arrêt, et elles doivent également compter avec le besoin de décarboner un secteur la mobilité en retard sur ses objectifs climat. Parmi les pistes actuellement évoquées pour relancer la consommation de véhicules, on trouve notamment le renforcement du bonus écologique ou une TVA réduite sur les véhicules « propres ». Ces pistes sont intéressantes car elles recentrent le signal-prix sur l’achat du véhicule, un levier efficace mais sous-utilisé en France selon Quentin Perrier d’I4CE : seule 9% de la fiscalité sur les véhicules s’applique au moment de l’acquisition.

 

Un secteur paralysé : avec le Covid-19, les ventes de véhicules en France ont chuté de 90%. La majorité des usines ont fermé, tout comme les concessionnaires. La crise est profonde, et pourrait peser durablement sur la demande. Dans ce contexte, un plan de soutien au secteur automobile apparait nécessaire, et le gouvernement devrait faire des annonces dans les jours qui viennent pour soutenir la filière.

 

Après la crise de 2008, un plan de soutien au secteur automobile avait été déployé via des avances de trésorerie, des subventions et la mise en place d’une « prime à la casse ». Mais ce plan ne saurait être répliqué à l’identique, car un paramètre majeur a changé : la prise de conscience du dérèglement climatique et de l’urgence d’agir. Le secteur du transport est responsable de 31% des émissions françaises, et il s’agit du secteur pour lequel la transition a pris le plus de retard (avec le bâtiment), comme le souligne le Haut Conseil pour le Climat. Les émissions des véhicules neufs ont ainsi stagné ces dernières années, en se stabilisant aux alentours de 112 gCO2/km, bien loin de l’objectif européen d’une réduction à 95 gCO2/km pour 2021. L’augmentation des ventes de SUV ces dernières années a été le symptôme visible de la difficulté des politiques actuelles à réorienter les usages vers des mobilités moins carbonées.

 

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Une fiscalité qui porte peu sur le moment de l’achat

Avant de parler de solution, posons ce constat : en France, la majorité de la fiscalité des véhicules porte sur les coûts variables, en particulier à travers les taxes sur les carburants. Les impôts qui pèsent au moment de l’achat représentent une part bien plus faible. En analysant le budget de l’État pour 2020, nous avons montré que les impôts qui opèrent à l’investissement ne représentent que 9%, contre 83% pour les impôts qui sont étalés sur la durée de vie du véhicule.

 

Ce point est loin d’être théorique. Pour le dire autrement, la fiscalité actuelle ne décourage pas les consommateurs d’acheter des véhicules polluants, mais elle les taxe ensuite tout au long de la durée de vie du véhicule. Un fonctionnement qui n’est probablement pas sans rapport avec le rejet de la taxe carbone et le mouvement des gilets jaunes.

 

Trois bonnes raisons pour recentrer le signal-prix sur l’achat

Face à ce constat, nous pensons que concentrer davantage la fiscalité – taxes et subventions – sur l’acte d’achat d’un véhicule présenterait trois avantages. Le premier serait de limiter les situations de « prisonniers énergétiques ». Actuellement, une personne peut acheter un véhicule qui semble peu cher, pour ensuite voir sa facture carburant augmenter. Mais elle dispose alors de peu de marges de manœuvre, ce qui peut engendrer le sentiment d’avoir été piégé, sans offrir d’alternative pour réduire ses émissions.

 

Le second avantage est que le signal-prix à l’achat influence de façon directe les décisions d’achat, davantage qu’une taxe lointaine et difficile à évaluer. Certes, si le consommateur était un homo economicus parfaitement rationnel faisant un calcul d’optimisation à son achat, un signal-prix à long terme pourrait avoir un effet identique. Mais en pratique, les consommateurs évaluent mal certains coûts lointains et incertains, comme le montrent de nombreuses études d’économie comportementale. Une récente publication dans la revue Nature vient encore de le confirmer : au moment d’acheter un véhicule, les gens sous-estiment les coûts totaux d’un facteur deux ! Le fait d’avoir une meilleure information lors de l’achat est donc essentiel, en particulier sur l’entretien, l’assurance et la dépréciation du véhicule. Outre des vignettes d’informations, cela peut passer par un recentrage de la fiscalité, par exemple, en remplaçant les taxes annuelles sur les assurances automobiles par un signal-prix à l’achat.

 

Cette optimisation imparfaite est également observable dans les entreprises : si les entreprises sont généralement plus efficaces pour optimiser leurs coûts sur le long terme, il existe des situations d’incitations séparées, où le service « achat des véhicules » vise à optimiser la facture de court terme, sans prendre en compte tous les autres coûts. D’après une étude du CGDD, seules 3% des entreprises déclarent regarder le coût complet du véhicule, et le prix d’acquisition reste le principal facteur de décision.

 

Troisième avantage, le fait de taxer à l’achat permet de mettre un prix sur les émissions liées à la construction des véhicules. Pour les véhicules électriques, cet enjeu est particulièrement plus saillant, puisque 75% de l’impact climat d’un véhicule électrique se situe lors de sa phase de production. Un enjeu majeur des dix prochaines années est donc d’orienter les achats vers des véhicules électriques légers plutôt que de lourds SUV. Ce paramètre peut être intégré aux aides au secteur automobile en indexant le malus sur le poids des véhicules électriques, comme le proposait France Stratégie.

 

Bonus-malus et modulations de taxes : Plusieurs instruments mobilisables

L’idée générale est donc de rééquilibrer les incitations sur les véhicules, pour les faire porter davantage sur l’acte d’achat. Plusieurs instruments pourraient être mobilisés : le bonus-malus écologique, déjà existant ; ou encore les modulations de taxes pesant sur les véhicules, comme la TVA ou la taxe sur la carte grise. L’idée n’est pas d’abandonner complètement les taxes sur les carburants, qui restent une incitation intéressante pour agir sur le parc existant, en encourageant à covoiturer, à limiter les longs déplacements et à prendre le train.

 

Le bonus-malus est un dispositif intéressant à plusieurs titres : il inclut à la fois un volet dissuasif et un volet d’encouragement, ce qui permet de réorienter les comportements en proposant des alternatives ; le principe du pollueur-payeur est clair et semble bien accepté par les citoyens ; son signal-prix porte sur le moment de l’achat, ce qui garantit une bonne transmission au comportement d’achat. Ce bonus-malus renforcé a d’ailleurs été retenu comme l’une des propositions prioritaires de la Convention citoyenne. Et l’on pourrait également envisager d’étendre ce dispositif aux véhicules utilitaires (VUL) et aux poids lourds. Car la marche à franchir est haute : rappelons que le France vise de ne vendre plus aucun véhicule fossile d’ici 2040.

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  • 02/06/2023
    Investissements climat : derrière les chiffres, des choix politiques

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    Climat : où sont les économies budgétaires ?

    Comment le gouvernement entend-il financer la hausse de ses dépenses publiques pour le climat ? Suite aux réactions du gouvernement au rapport Pisani-Ferry qui proposait d’utiliser toutes les options dont l’endettement et la hausse des prélèvements obligatoires, faisons une hypothèse : et si le gouvernement misait uniquement sur les options d’économies budgétaires ? Damien Demailly d’I4CE fait une revue des options à disposition du gouvernement pour financer ainsi la transition. Évidemment, toutes sont difficiles à mettre en œuvre et certaines peuvent s’avérer contre-productives. Elles méritent néanmoins d’être explicités et débattues. L’ensemble des options pour financer la transition méritent de l’être.

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    Combien faut-il investir pour le climat ? Des experts d’horizons variés ont cherché à répondre à cette question importante et en apparence assez simple. Ils sont d’accord pour dire que, public comme privé, il faut investir plus pour réduire les émissions de carbone. Mais ils divergent sur l’ampleur du montant, qui va de 20 à 100 milliards d’euros par an. Faut-il s’inquiéter de cette divergence ? La question est importante car elle alimente deux débats. Le premier concerne l’ampleur de la dépense publique. L’Etat et les collectivités locales devront investir dans les bâtiments et les infrastructures publiques, mais aussi aider les ménages et les entreprises à financer leurs propres investissements. Le second débat est macroéconomique : s’il faut investir davantage, cela implique de produire plus et d’épargner plus tout en consommant moins, ou encore de recourir à des capitaux étrangers – ce qui va affecter la croissance, l’emploi et le niveau des prix.

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