Certification carbone : la Commission propose un cadre exigeant qui devra aussi être incitatif

1 décembre 2022 - Billet d'analyse - Par : Claudine FOUCHEROT

On y voit désormais plus clair sur le futur cadre de certification carbone européen, grâce à la proposition que la Commission vient de rendre publique. Cette proposition donne un cadre, de grands principes directeurs, et les détails seront précisés dès 2023 avec l’appui d’un groupe d’experts. Si le diable se cache dans les détails, le cadrage n’en est pas moins important. Claudine Foucherot d’I4CE l’a analysé et identifié quatre points sur lesquels il faudra être vigilant. De manière générale, on peut dire que la Commission fait une proposition ambitieuse qui présente cependant un risque : ne pas être suffisamment incitative pour permettre un déploiement massif des projets. 

 

Pour rappel, la Commission européenne a décidé de créer un cadre de certification carbone pour accélérer le déploiement de projets de stockage de carbone, y compris dans le secteur des terres, afin de répondre à l’objectif de neutralité carbone en 2050. Un cadre fiable est un préalable pour pouvoir flécher des financements privés comme publics vers des projets ayant un réel impact pour le climat. Face à la multiplication des systèmes de certification carbone avec des niveaux d’exigence très hétérogènes, ce futur dispositif européen est l’occasion de faire le tri et d’apporter de la clarté, aussi bien aux porteurs de projets qu’aux financeurs. Le pari est que davantage de clarté permettra de massifier les financements et ainsi d’accélérer le stockage de carbone dans les forêts, les produits bois et les sols agricoles. Ce futur dispositif permettra par ailleurs de certifier des projets n’importe où sur le territoire européen là où les cadres existants ne ciblent que quelques pays. Des objectifs louables donc mais il reste à s’assurer que cet outil soit réellement incitatif pour les agriculteurs et forestiers tout en nivelant par le haut les différentes démarches de certification carbone existantes.  

 

Pour que le dispositif soit incitatif pour les agriculteurs, il est nécessaire d’élargir son périmètre aux émissions de N2O et de CH4   

Le premier point de vigilance dans la proposition de la Commission est celui du périmètre, qui est à ce stade trop restreint. Ce cadre de certification a été initialement pensé pour répondre à l’objectif de renforcement du puits de carbone européen. Il se focalise donc sur les absorptions de carbone et ne permet pas de valoriser les réductions d’émissions de N20 et CH4 que les agriculteurs doivent également mettre en œuvre. Or, ceci soulève la question de l’attractivité du dispositif pour ces derniers.  En effet, les premiers projets certifiés par le système de certification français, le Label Bas Carbone (LBC) révèlent des coûts pouvant être supérieurs à 100 euros par tonne de gaz à effet de serre réduite ou séquestrée. Si seul le carbone séquestré peut être valorisé dans le dispositif européen, il sera encore plus difficile pour les agriculteurs de couvrir le coût de leurs projets. Il semble donc peu probable qu’un dispositif qui ne valorise que les puits incite les agriculteurs à s’engager. 

 

La coordination des différentes sources de financements des projets certifiés sera cruciale  

L’attractivité du dispositif est cruciale et pour cela, au-delà d’une valorisation de l’ensemble des bénéfices climatiques réalisés, il est nécessaire de diversifier les sources de financement. C’est notre deuxième point de vigilance. La Commission liste différentes sources de financement possibles (marchés volontaires, PAC, aides d’État, prêts bancaires à taux réduits, premiums bas-carbone sur les produits issus de projets certifiés etc.) et c’est déjà très bien. Mais elle ne précise pas encore comment ces différentes sources de financement pourront être utilisées conjointement pour apporter une rémunération suffisamment incitative et ainsi accélérer le déploiement de projets bas-carbone. Encore une fois : les projets sont couteux, peuvent entrainer une prise de risque, demander d’investir dans du matériel nouveau, nécessiter de la formation, de l’accompagnement et ce sans compter les coûts propres à la certification. Il convient de mettre à plat ces différents coûts et de clarifier qui financera quoi, de façon précise, afin de s’assurer que les financements seront efficaces (il ne faut pas surfinancer un projet) et qu’ils couvriront suffisamment les coûts pour être incitatifs (il ne faut pas sous-financer un projet).  

 

Les critères de durabilité doivent être ambitieux mais réalistes  

Notre troisième point de vigilance concerne les critères de durabilité : ils doivent être ambitieux et également applicables dans la pratique.  La Commission propose des lignes directrices sur l’additionalité des projets, le risque de non-permanence et la prise en compte des autres enjeux de durabilité que le carbone qui sont globalement alignées avec les recommandations que nous avions formulées.  

 

Mais la Commission fait le choix d’une définition de l’additionnalité moins disante que le Label Bas Carbone. Là où ce dispositif de certification français pousse à aller au-delà de la situation actuelle, quelle qu’elle soit, la Commission souhaite récompenser les pionniers en se basant sur des comparaisons à des moyennes locales. Le risque d’effet d’aubaine, c’est-à-dire que seuls les porteurs de projets déjà meilleurs que la moyenne s’engagent dans le dispositif, est donc plus élevé. Cette approche a néanmoins l’avantage d’inciter au maintien des stocks existants. En revanche, la gestion de la non-permanence est plus compliquée à comprendre en l’état actuel de la proposition. Cette proposition stipule que le carbone qui a été stocké par un projet doit être considéré comme réémis à la fin de la période de monitoring s’il n’est pas possible de démontrer la permanence du stockage. Cela suggère la création de crédits carbone temporaires qui avait été mis en place dans le cadre des projets Kyoto mais qui n’avait pas fonctionné. Il y a en effet peu d’intérêt pour un acteur d’acheter des crédits qui ont une date de péremption et doivent potentiellement être remplacés au fur et à mesure. Si cette solution est extrêmement robuste pour se prémunir du risque de non-permanence elle semble peu réaliste et parfois le mieux est l’ennemi du bien. Il nous semblerait préférable de chercher à assurer la rentabilité sur le long terme des pratiques stockantes afin de faciliter leur maintien et d’assumer en parallèle qu’il y aura toujours un risque de déstockage :  cela n’empêche pas bien sûr d’appliquer un rabais pour tenir compte du risque de non-permanence par type de projet.  

 

Une gouvernance très centralisée, qui ne doit pas démobiliser les acteurs déjà engagés dans d’autres cadres de certification nationaux 

Enfin, notre dernier point d’attention porte sur la gouvernance de la certification européenne. Plusieurs options, plus au moins centralisées, ont été envisagées. Elles vont d’un système très ouvert, où les certifications nationales comme le LBC garderaient toute leur place et où les États membres auraient la main pour appliquer les grandes règles européennes et pour valider des méthodologies proposées par les parties prenantes, à un système très centralisé où la commission développe des méthodologies applicables par tous. Dans sa proposition, la Commission semble privilégiée une approche très centralisée. Une approche pertinente pour faire le tri face à la multiplication des cadres de certification en Europe et apporter de la clarté, mais qui nécessite que les méthodologies européennes soient en capacité de tenir compte des différents contextes pédoclimatiques. Cette centralisation devra par ailleurs se faire de façon progressive et apporter des garanties aux acteurs d’ores et déjà engagés dans des démarches de certification reconnues. Sinon, elle pénalisera les pionniers et découragera le déploiement de projets bas-carbone avant que le cadre européen ne soit opérationnel.   

 

La Commission a mis sa proposition sur la table et la balle est maintenant dans le camp du Parlement et du Conseil pour faire bouger les lignes. Elle sera ensuite dans le camp du groupe d’experts que la Commission est en train de former, et dont les travaux seront déterminants pour assurer le développement d’un dispositif à la fois rigoureux et clair mais également incitatif pour les agriculteurs et forestiers.   

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