Observatoire des conditions d’accès à la transition écologique pour les ménages, édition 2025

20 juin 2025 - Étude Climat - Par : Charlotte VAILLES / Sirine OUSACI

« La transition écologique est un luxe réservé aux riches »,   « elle n’est pas accessible à la majorité des Français ». Qui n’a pas pensé ou entendu cela lors d’une discussion sur le climat et les politiques climatiques ?  Acheter un véhicule électrique ?  C’est 10 000€ de plus qu’une voiture thermique. Remplacer son chauffage au gaz par une pompe à chaleur  ? 15 000€. Rénover en profondeur son logement ? 50 000€ … Mais la transition écologique est-elle vraiment inaccessible ? Inabordable économiquement pour les classes moyennes ?

 

 Pour répondre à cette question, nous nous sommes (à nouveau) plongées dans les données, et nous avons défini des indicateurs clefs, qui nous permettent d’évaluer la capacité des ménages à investir dans la transition écologique, pour le logement et la mobilité : le reste à charge, c’est-à-dire le montant de l’investissement, une fois déduites les aides publiques; la capacité de financement de ce reste à charge par les ménages, via leur épargne ou un emprunt; et l’impact sur le budget des ménages, afin d’évaluer si les économies d’énergie permettent de couvrir les mensualités dans le cas d’un prêt. Nous évaluons l’accessibilité d’investissements qui ne sont pas forcément rendus nécessaires par la vétusté ou l’inadéquation d’un équipement (chaudière, toiture, voiture), mais qui se justifient au global par l’atteinte des objectifs climat et par le fait de protéger les ménages de potentielles augmentations du prix des énergies fossiles.  Pour la mobilité électrique, nous évaluons également la comparaison avec l’investissement dans une alternative thermique équivalente.  

 

Dans l’édition de cette année, nous avons évalué ces indicateurs de manière rétrospective – sur dix ans dans le cas de la rénovation et cinq pour la mobilité électrique–, afin d’identifier les facteurs qui ont amélioré – ou détérioré – l’accessibilité économique des solutions de transition sur les dernières années 

 

Nous présentons ces indicateurs pour deux ménages types : la famille Deschamps et la famille Villeneuve, toutes deux dans les classes moyennes, propriétaires de leur logement et dépendantes de la voiture au quotidien. Nous aurions pu présenter une multitude de profils types, mais nous avons choisi de nous concentrer sur un ménage rural de classe moyenne inférieure (la famille Deschamps) et un ménage périurbain de la classe moyenne supérieure (la famille Villeneuve). Ces deux ménages ne permettent évidemment pas de représenter la diversité des situations des ménages, ni même des classes moyennes. Il nous a semblé que ces deux profils permettaient toutefois d’évaluer des situations intéressantes, au cœur du débat politique. Nous avons évalué certains indicateurs dans d’autres configurations, et notamment dans le cas d’un ménage modeste et d’un ménage aisé. Ces analyses complémentaires sont évoquées au fil des pages de l’Observatoire et détaillées dans les annexes.  

 

Nous nous concentrons ici sur la capacité économique des ménages à réaliser les investissements nécessaires à la transition écologique. L’accessibilité de la transition écologique pour les ménages est conditionnée au respect de nombreuses autres conditions – par exemple la disponibilité de bornes de recharge, celle d’artisans de la rénovation, etc. Nous analysons l’évolution de quelques-unes de ces autres conditions d’accès à la transition écologique via un tableau de bord d’indicateurs, sans aucune prétention d’exhaustivité. Cette analyse centrée sur les ménages pourrait donner l’impression que la réussite de la transition écologique est dans les mains des individus mais il est important de rappeler que la transition est avant tout une question de choix collectifs et de politiques publiques.  

 

Il ressort de cette analyse que la rénovation du logement est globalement plus accessible aux ménages des classes moyennes qu’il y a dix ans :  

  • En 2025, le ménage Deschamps, qui habite dans une maison rurale chauffée au fioul, peut financer des travaux de rénovation performante de sa maison et dégage même des économies nettes, ce qui n’était pas le cas il y a dix ans. 

 

Il y a dix ans, le reste à charge pour la rénovation performante de la maison du ménage Deschamps s’élevait à 36 000€, ce qui représentait quasi un an de ses revenus. Le ménage Deschamps avait une capacité d’emprunt suffisante pour financer ce reste à charge via un prêt, mais les économies d’énergie ne permettaient pas de rembourser les mensualités de financement. Dix ans plus tard, le reste à charge a baissé de 15 000€ et correspond à un peu moins de 6 mois de revenus. Sa marge d’endettement s’est améliorée et à présent les économies d’énergie permettent de couvrir les mensualités du prêt, et même de faire des économies nettes de 130€ par mois.  

 

  • La famille Villeneuve, qui vit dans une maison chauffée au gaz en zone périurbaine, peut également financer des travaux de rénovation performante, mais les économies d’énergie ne couvrent pas totalement les mensualités du prêt.  

 

Pour le ménage Villeneuve, il y a également eu une amélioration depuis 2015, mais sa situation en 2025 est moins favorable que celle du ménage Deschamps. Les aides qu’il peut toucher pour la rénovation de sa maison sont moins importantes, du fait de sa catégorie de revenus différente pour les aides Anah, et des caractéristiques de son logement. Il a une capacité d’emprunt suffisante pour financer le reste à charge via un prêt, mais le remboursement de ce prêt n’est pas couvert par les économies d’énergie, même en 2025 et en mobilisant son épargne pour diminuer le montant emprunté. L’augmentation nette de son budget reste toutefois modérée (de l’ordre de 20€ par mois), ce qui semble soutenable, d’autant plus que la rénovation performante permet de gagner en confort et protège le ménage d’éventuelles augmentations futures des prix de l’énergie.

 

 

  • L’installation d’une pompe à chaleur permet aux ménages de faire des économies d’énergie suffisantes pour couvrir les mensualités de financement 

 

Pour l’installation d’une pompe à chaleur, le reste à charge a augmenté sur les dix dernières années, que ce soit pour le ménage Deschamps ou le ménage Villeneuve. Malgré cette augmentation, alors que les économies d’énergie ne permettaient pas de couvrir les mensualités de prêt il y a dix ans, c’est largement le cas aujourd’hui 

 

 

D’autres évolutions sont également à suivre pour évaluer l’accessibilité des rénovations performantes : en particulier le nombre d’artisans certifiés RGE – qui augmente légèrement pour atteindre
63 000 en 2024– et la possibilité pour les ménages de souscrire à un prêt aidé – de plus en plus d’éco-PTZ sont distribués (113 000 en 2024). 

 

Pour la mobilité, les évolutions sont plus mitigées

  • Pour le ménage Deschamps, le reste à charge a augmenté et les économies de carburant ne couvrent toujours pas le financement d’une voiture électrique

 

Pour un ménage qui n’a pas spécifiquement besoin de changer de voiture (ici le ménage Deschamps), nous comparons l’achat d’une voiture électrique au fait de garder sa voiture essence. Ce scénario peut également donner un ordre de grandeur de la comparaison avec l’achat d’un modèle ancien, de 3ème main par exemple, peu cher à l’achat mais avec des frais d’entretien élevés.

 

Nous évaluons dans cette situation l’ensemble du reste à charge pour une voiture électrique : il a augmenté sur les cinq dernières années, une augmentation comprise entre 5 000 à 10 000€ suivant les modèles considérés. Les économies de carburant (de l’ordre de 110€ par mois en 2020, 120€ en 2025) ne sont pas suffisantes pour couvrir les mensualités de crédit. Seul le dispositif de leasing social aurait permis en 2024 de donner accès au ménage Deschamps à une voiture électrique tout en baissant son budget mobilité. A noter que ce dispositif n’a mis la voiture à disposition des ménages que pendant 3 ans, ce qui pose la question de l’accès à la mobilité électrique dans la durée si le dispositif n’est pas reconduit et que le prix de rachat – pour les contrats avec option d’achat– est rédhibitoire pour les ménages.

 

À noter que pour le ménage Deschamps, nous développons également un scénario alternatif de comparaison entre l’achat d’une voiture électrique et l’achat d’un équivalent thermique (cf infographie en bas de page et annexes méthodologiques). 

 

  • Pour le ménage Villeneuve, le surcoût d’une voiture électrique par rapport à son équivalent thermique a augmenté sur les cinq dernières années, mais les économies de carburant lui permettent toujours de couvrir le financement du surcoût.

 

Pour un ménage des classes moyennes supérieures (ici le ménage Villeneuve), qui doit remplacer sa voiture, nous comparons l’achat d’une voiture électrique à une voiture thermique équivalente. Alors qu’il y a cinq ans, une voiture électrique neuve entrée de gamme était moins chère à l’achat de presque 5 000€ par rapport à son équivalent thermique, le reste à charge pour une voiture électrique dépasse aujourd’hui le prix de son équivalent thermique, de quelques milliers d’euros. L’achat d’une voiture électrique par rapport à son équivalent thermique reste toutefois avantageux pour le ménage Villeneuve. En effet, les économies de carburant générées par le passage à l’électrique permettent de couvrir l’augmentation des mensualités du crédit par rapport à une alternative thermique. En 2025, le ménage Villeneuve peut voir baisser son budget mobilité – incluant l’ensemble des frais liés à sa voiture y compris l’achat par un crédit – de quelques dizaines d’euros. Ces économies nettes ont baissé depuis cinq ans, elles étaient plutôt de l’ordre de 140€  par mois en 2020.

 

D’autres évolutions sur les dernières années sont plutôt favorables au développement de la mobilité électrique : de plus en plus de voitures électriques sont vendues sur le marché d’occasion, et le nombre de bornes de recharge accessibles au public continue d’augmenter, à la même vitesse que le déploiement des voitures électriques. 

 

 

Différents facteurs permettent d’expliquer ces évolutions

Le premier facteur explicatif est l’impact des aides à destination des ménages.

 

Côté rénovation performante, la mise en place de MaPrimeRénov’ Parcours Accompagné a entraîné une hausse très conséquente des montants d’aides à la rénovation pour les ménages des classes moyennes (et modestes). Les évolutions de l’éco-PTZ – hausse du plafond et augmentation de la durée du prêt – ont également rendu les investissements plus accessibles aux ménages.

 

Côté mobilité électrique, les aides à l’achat ont plutôt baissé sur les dernières années : suppression de la prime à la conversion, baisse du bonus et critères d’éligibilité plus stricts (suppression des aides pour les voitures d’occasion et introduction du score environnemental), ce qui a eu pour effet de faire augmenter le reste à charge pour une voiture électrique. En revanche, le dispositif de leasing social a permis à des ménages des classes moyennes inférieures (et modestes) d’acquérir une voiture électrique sans augmenter leur budget mobilité.

 

Un deuxième facteur explicatif des évolutions est le coût des investissements.

Côté rénovation, il s’agit plutôt d’un facteur à la hausse : le coût des travaux a augmenté, de même que les prix des pompes à chaleur (de plus de 30% sur 2015-2025, pour le coût des travaux comme pour celui des pompes à chaleur). Côté mobilité, le prix des voitures électriques a également plutôt augmenté de manière générale. Mais la mise sur le marché de nouveaux modèles entrée de gamme et la plus grande disponibilité de voitures électriques sur le marché de l’occasion ont permis de contrebalancer cet effet.

 

Un dernier facteur qui a un impact fort sur l’accessibilité des investissements pour les ménages est le prix des énergies.

Les prix du gaz, du fioul, de l’essence ont beaucoup augmenté sur les dernières années, surtout en 2022-2023, ce qui augmente de manière très conséquente les économies d’énergie potentielles – le prix du gaz a doublé entre 2015 et 2025, celui du fioul a doublé entre 2015 et 2023 avant de légèrement diminuer, celui de l’essence a augmenté de plus de 20% entre 2015 et 2023, avant de légèrement diminuer.

 

Leçons pour l’avenir 

La situation s’est améliorée sur un certain nombre d’indicateurs : le reste à charge pour la rénovation performante a fortement baissé pour les classes moyennes, les économies d’énergie potentielles ont augmenté, les modalités de financement se sont améliorées.

 

Alors que certains investissements ne sont toujours pas accessibles économiquement aux ménages, notamment des classes moyennes, et que les améliorations passées sont dues en grande partie aux aides publiques, une attention particulière devra être donnée au budget de l’Etat pour 2026, dans un contexte budgétaire difficile.

 

Le budget 2026 devra prioriser l’accès aux solutions de transition de celles et ceux qui en ont besoin – via des subventions, des dispositifs comme le leasing social, etc. D’autres leviers (règlementaires, fiscaux) peuvent être mobilisés pour inciter les acteurs en ayant les moyens à investir.  Ces derniers leviers peuvent par ricochet rendre les investissements plus accessibles aux ménages : par exemple, la règlementation européenne sur les émissions des véhicules peut inciter les constructeurs à baisser le prix de vente de leurs modèles électriques. De même, la règlementation sur le verdissement des flottes d’entreprises peut permettre d’alimenter le marché de l’occasion électrique.

 

N’oublions pas non plus que d’autres évolutions sont nécessaires pour rendre la transition écologique réellement accessible aux ménages – le développement des transports en commun, la formation des artisans de la rénovation, etc. Certaines de ces évolutions nécessiteront également d’être soutenues par de la dépense publique.

 

 

Observatoire des conditions d’accès à la transition écologique pour les ménages, édition 2025 Télécharger
Contacts I4CE
Charlotte VAILLES
Charlotte VAILLES
Chercheuse – Financement de la transition juste Email
Sirine OUSACI
Sirine OUSACI
Chargée de recherche – Financement de la transition juste Email
Pour aller plus loin
  • 20/06/2025
    Les classes moyennes ont-elles (enfin) accès à la transition ?

    « La transition écologique est un luxe réservé aux riches », « elle n’est pas accessible à la majorité des Français ». Qui n’a pas pensé ou entendu cela lors d’une discussion sur les politiques climatiques ?  Acheter un véhicule électrique ?  C’est 10 000€ de plus qu’une voiture thermique. Remplacer son chauffage au gaz par une pompe à chaleur ? 15 000€. Rénover en profondeur son logement ? 50 000 € … Mais la transition écologique est-elle vraiment inaccessible économiquement pour les classes moyennes ?  Pour répondre à ces questions et éclairer le débat sur les aides publiques pour les ménages, I4CE publie sa deuxième édition de l’Observatoire des conditions d’accès à la transition écologique.

  • 20/06/2025 Billet d'analyse
    Quatre leviers pour relancer l’électrification des véhicules

    Dans ce billet, nous revenons sur les politiques mises en place au cours des dernières années pour favoriser le déploiement des véhicules électriques, et sur les limites qu’elles rencontrent. Nous identifions quatre leviers à actionner pour éviter l’impasse : poursuivre l’électrification des flottes professionnelles, maintenir la réglementation sur les constructeurs, stabiliser le bonus écologique et ne pas le débudgétiser, et enfin augmenter l’ambition d’un leasing social réformé pour les ménages modestes et les classes moyennes.

  • 13/06/2025 Tribune
    Suspension de MaPrimeRénov’ : et si on arrêtait de se voiler la face pour 2026 ?

    Le Conseil de planification écologique va se réunir pour la première fois depuis 2023, l’occasion de relancer l’action gouvernementale. Pour Benoît Leguet dans sa chronique mensuelle des Echos, il était temps : on a plus que jamais besoin de planification écologique, pour assurer notre souveraineté et notre sécurité.

Voir toutes les publications
Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
Inscrivez-vous à notre liste de diffusion :
Je m'inscris !
Inscrivez-vous à notre newsletter
Une fois par semaine, recevez toute l’information de l’économie pour le climat.
Je m'inscris !
Fermer