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Paris +10 : l’action climat plus que jamais nécessaire pour assurer notre sécurité, notre souveraineté, notre compétitivité, et la soutenabilité de nos finances publiques

12 décembre 2025 - Billet d'analyse - Édito de la semaine - Par : Benoît LEGUET

Qu’il semble loin, le 12 décembre 2015. Toutes les délégations à la COP21 se rangeaient alors derrière le petit marteau vert (en bois jurassien) de Laurent Fabius. Dix ans plus tard, la mode est plutôt au backlash.  

 

La lutte contre le changement climatique peut désormais être décrite dans le débat public comme trop coûteuse car nécessitant des investissements conséquents. Inefficace, la part de nos émissions dans les émissions mondiales étant faible. Injuste, car venant amputer le pouvoir d’achat. Trop clivante, et voulue par une partie de l’électorat uniquement. Trop tardive, maintenir la planète sous +2°C de réchauffement semblant désormais hors de portée. Autant d’arguments qui sont pour partie vrais. Mais nécessitent pour autant d’être fortement nuancés. 

 

Dix ans après l’adoption de l’Accord de Paris, les raisons d’agir en faveur du climat n’ont pas disparu, et ont même gagné en pertinence. Elles tiennent dans quatre grandes rubriques : garantir notre sécurité ; assurer notre souveraineté ; améliorer notre compétitivité ; contribuer à la soutenabilité de nos finances publiques. 

 

Signe des dieux : la publication attendue depuis deux ans, de la troisième Stratégie nationale bas-carbone – annoncée pour ce vendredi 12 décembre 2025, jour-anniversaire de l’Accord de Paris – peut être vue comme une volonté renouvelée de redonner corps à la planification écologique. Et le signal d’un retour à l’action, qui doit s’articuler autour de trois axes : s’adapter au changement climatique ; se débarrasser des énergies fossiles ; miser sur la production sur notre territoire de technologies vertes.

 

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1. Se débarrasser des énergies fossiles, pour notre souveraineté, nos finances publiques, et notre sécurité 

En 2019 et 2020, une partie du Gouvernement français se réunissait en « conseil de défense écologique », une notion prémonitoire tant notre dépendance coûteuse aux énergies fossiles a depuis éclaté au grand jour.  

 

La guerre en Ukraine a mis en lumière notre très forte dépendance aux énergies fossiles : dépendance au pétrole de nos transports ; dépendance au gaz naturel de nos bâtiments et logements ; de notre industrie ; et de notre agriculture via les engrais azotés. La réduction drastique de nos besoins en énergies fossiles devient dès lors un impératif pour notre souveraineté. 

 

L’an dernier, la France importait la quasi-totalité des énergies fossiles qu’elle consomme, pour une facture de 63 milliards d’euros. Il y a trois ans, c’était près du double : 118 milliards (SDES, bilan de l’énergie 2024). Accélérer la transition, c’est se passer de ces dépendances coûteuses. L’histoire récente devrait nous inciter à agir plus vite en ce sens. L’explosion des prix de l’énergie suite à la tentative d’invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2022, avait nécessité la mise en œuvre en urgence de mécanismes de protection des consommateurs – ménages, collectivités et entreprises – pour éviter une explosion sociale. Le coût budgétaire pour l’Etat français, en moins de trois ans, a dépassé les 70 milliards d’euros (Banque de France, 2024). Plus du double de ce que l’Etat consacre, bon an mal an, au soutien à la transition (Budget Vert 2026, dépenses favorables). 

 

La France est également particulièrement dépendante des engrais azotés, importés entre 66 % et 80 % (Ministère de l’Agriculture, 2022, 2024), et produits à partir de gaz naturel. Optimiser l’épandage d’engrais, remplacer les engrais minéraux de synthèse par des alternatives organiques sont clé pour améliorer notre indépendance stratégique ; introduire des légumineuses dans les rotations permet également de réduire notre dépendance aux engrais azotés, mais aussi aux tourteaux de soja dédiés à l’alimentation animale, également importés à 80% (Ministère de la Transition Ecologique). 

 

Une grande partie de ces approvisionnements fossiles proviennent par ailleurs de pays dont on peut douter de la fiabilité dans la durée. La transition écologique est donc un impératif pour la sécurité du continent : à titre d’illustration, l’année dernière, l’Union européenne a importé pour près de 22 milliards d’euros de combustibles fossiles russes, contribuant de facto à l’effort de guerre contre l’Ukraine, et à tout effort de guerre futur de Vladimir Poutine. Ramener rapidement à zéro nos imports de pétrole et gaz russes est donc un enjeu de défense, et va dans le même sens qu’une augmentation de nos dépenses militaires. 

 

Plusieurs pays semblent vouloir s’attaquer à ce problème – bien identifié – de dépendance aux fossiles. Si l’accord final de la COP30 à Belém passe sous silence la sortie des énergies fossiles, 80 pays – européens, latinoaméricains et insulaires – se sont néanmoins unis pour appeler à la mise en place d’une feuille de route de sortie des énergies fossiles. 

 

Cerise sur le gâteau, réduire l’utilisation de combustibles fossiles, c’est souvent réduire les émissions d’autres polluants atmosphériques, qui ont également un coût social important : à titre d’exemple pour la France, 4 milliards d’euros par an pour le seul NO2 issu du trafic routier (Santé publique France, 2025). 

 

2. S’adapter au changement climatique, pour notre sécurité, notre compétitivité et nos finances publiques 

Backlash ou pas, les effets du changement climatique s’accélèrent et impactent plus souvent et plus durement nos territoires. Nos infrastructures construites (bâtiments, réseaux de transport, d’énergie, d’eau…) ou naturelles (forêts, zones humides…) ne seront peut-être pas prêtes à rendre les mêmes services que dans le climat pour lequel elles ont été conçues. En termes d’impact climatique, « chaque dixième de degré supplémentaire compte », et fait porter sur notre économie au mieux un risque, et plus sûrement un coût. 

 

S’assurer que nos élèves puissent apprendre dans des écoles où il ne fait pas 35°C, que nos centres-villes soient moins étouffants, que les pompiers disposent des moyens nécessaires pour faire face aux feux et aux inondations, que notre système de santé ne soit pas en rupture capacitaire à chaque vague de chaleur… tout cela aura certes un coût. C’est pourtant le meilleur investissement que nous puissions faire, en dédiant des moyens budgétaires adéquats, et en rendant les investissements publics et privés climate-proof. Ce n’est pas une question d’environnement, mais de sécurité des personnes, de productivité et de compétitivité des territoires. 

 

Dédier des moyens pour s’adapter au changement climatique, c’est aussi réduire les risques sur les finances publiques, déjà bien malmenées. A titre d’illustration, les aléas climatiques de 2022, dont la sécheresse estivale, ont nécessité de mobiliser pour le seul secteur agricole plus de 2 milliards d’euros d’aides publiques ; et ont généré par ailleurs – évidemment – une perte de production.

 

3. Miser sur les cleantechs, pour notre souveraineté et notre compétitivité 

Les saillies de Donald Trump sur les énergies fossiles ne doivent pas occulter une évidence : la course aux cleantechs est lancée entre les Etats-Unis et la Chine. Et dans cette course, l’Union européenne, très en retard, est confrontée à au moins trois défis : des coûts énergétiques et salariaux plus élevés ; un environnement d’investissement moins dynamique ; et les impacts de l’Inflation Reduction Act américain et du Made in China 2025. 

 

Du Pacte industriel vert aux propositions pour un budget européen plus flexible, la Commission affiche une nouvelle ambition : renforcer la base industrielle en cours de décarbonation du continent, et développer à grande échelle les filières des technologies propres stratégiques. Compte tenu des ressources limitées, celles-ci doivent être concentrées là où elles auront le plus d’impact. L’Europe doit agir de concert pour identifier les technologies et les secteurs clés à prioriser au service de la décarbonation, de la résilience et de la compétitivité dans les décennies à venir. 

 

Parmi les cleantechs, une filière doit particulièrement retenir l’attention de l’Europe et de la France. Celle de la mobilité électrique. Le virage vers l’électrique semble en effet désormais inéluctable sur ce secteur. Dans vingt-cinq ans, une fois l’ensemble du parc automobile électrifié, on se demandera peut-être comment nos sociétés ont pu vivre aussi longtemps avec un service, considéré comme essentiel dans de nombreux points du territoire, dépendant d’un carburant distribué hors du domicile… La voiture thermique nous semblera alors être à la voiture électrique ce que la lampe à huile est à la LED. Ou ce que le puits est à l’eau courante. Et on aura fait ce virage pour le confort, pas pour le climat. Le risque que nous courons, c’est de fabriquer demain en Europe les voitures hybrides et thermiques les plus compétitives du monde, dont personne ne voudra, pendant que la Chine et peut-être d’autres vendront urbi et orbi leurs batteries et voitures électriques. Un risque de retard technologique, qui existe peut-être sur d’autres secteurs des cleantechs.

 

4. Yapuka : planifier et rendre accessible la transition climatique 

Les raisons pour poursuivre l’action climatique ne manquent pas. Réduire la voilure, et a fortiori faire marche arrière pourrait nous coûter très cher sur de nombreux plans. Mettre en œuvre la transition nécessite de s’appuyer sur deux piliers. 

 

Le premier pilier est celui de la planification écologique. Nous n’arriverons pas à un sevrage des combustibles fossiles et à la neutralité carbone par hasard, ni en France ni en Europe : c’est le but de la planification écologique et de son inscription dans l’ensemble des politiques publiques. Planification qui doit être pilotée au plus haut niveau politique ; comporter des objectifs, des trajectoires, des moyens budgétaires ; et prévoir les imprévus… qui nous seront inévitablement imposés par le reste du monde, que ce soit variation des prix des énergies, dépenses militaires rendues nécessaires, guerre commerciale. La planification écologique, ce n’est pas le Gosplan, c’est avant tout un outil de coordination des anticipations des acteurs, pour permettre à l’ensemble des maillons d’une chaîne de valeur (industriels, fournisseurs, clients, financiers…) de pivoter ensemble. Pour être crédible, un plan de transformation écologique doit donc comporter un plan de financement. 

 

Le deuxième pilier est celui de l’accessibilité de la transition. Attendre des agents économiques – et notamment des ménages – qu’ils agissent en faveur de la transition s’ils n’ont pas accès aux solutions – voiture électrique, transports en commun, isolation du logement, changement de chauffage… – génère un rejet des politiques de transition et nous conduit collectivement dans l’impasse. La question de l’accès à ces solutions de transition est donc un enjeu majeur pour les politiques climatiques.Une attention particulière doit notamment être portée aux ménages modestes et aux classes moyennes, afin de rendre les investissements nécessaires à la transition économiquement soutenables pour ces ménages. De nets progrès ont été enregistrés en ce sens depuis 10 ans. C’est donc à portée de main. 

 

Si ces deux piliers sont correctement intégrés dans les politiques publiques, rêvons qu’à l’heure de Paris +20, en 2035, nous aurons en France et en Europe contribué à faire advenir un « monde meilleur ». Et pas uniquement pour le climat. 

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