Maintenir l’objectif 2035 pour soutenir la transition de l’industrie automobile française
Pour réduire ses émissions de CO2 et ses coûteuses importations de carburants fossiles, l’Union Européenne s’est donné pour règle en 2022 qu’à partir de 2035, tous les nouveaux véhicules devront être à émissions nulles, c’est-à-dire essentiellement électriques. Mais aujourd’hui, ce règlement est remis en question. Les constructeurs automobiles demandent sa révision, pour autoriser les véhicules hybrides rechargeables, ou ceux fonctionnant aux biocarburants, entre autres modifications qui reviendraient, si elles étaient adoptées, à continuer à vendre des véhicules thermiques après 2035.
Pour justifier ces demandes, les constructeurs mettent en avant la crise que traverse le secteur automobile, dont les ventes reculent et une partie des usines sont actuellement à l’arrêt. À cela s’ajoutent les risques d’une nouvelle concurrence venue de Chine, particulièrement forte sur le segment électrique, comme le souligne un récent rapport parlementaire (1).
Pourtant, à bien y regarder, la crise du secteur s’explique moins par l’essor de l’électrique que par la stratégie inadaptée des constructeurs consistant à miser sur des véhicules thermiques de plus en plus gros et de plus en plus chers. Dans un marché des véhicules qui se contracte, l’électrique résiste mieux, notamment les petits modèles français. Enfin, la France est bien placée pour produire davantage de véhicules électriques, en attestent les investissements importants consentis dans la filière allant des batteries à la recharge.
Une crise héritée de la stratégie « premium »
En vingt-cinq ans, la production automobile française est passée de 3,3 millions à 1,4 million de véhicules, entraînant la fermeture d’usines et la suppression de nombreux emplois (2). Cette crise longue a commencé bien avant l’essor de l’électrique. Elle s’explique par un marché automobile de plus en plus tourné vers les véhicules dits « premium », c’est-à-dire plus puissants, plus lourds, plus grands et surtout plus chers. Un domaine où excellent les marques allemandes, tandis que les marques françaises, spécialisées dans les petits véhicules, n’ont pas réussi à s’imposer : Renault, Citroën et Peugeot ont perdu des parts de marché, passant, entre 2001 et 2023, de 25 % à 15 % du marché européen (3). En outre, pour rester compétitifs dans la production des petits véhicules à bas-coût, les groupes automobiles français ont délocalisé leur production : en 2023, les constructeurs français produisaient 23 % de leurs véhicules légers en France, contre 53% en 2005 (4).
Cette stratégie s’est emballée après la crise Covid. À partir d’une analyse fine des prix pratiqués par segment, les chercheurs de l’Institut Mobilités en Transition relèvent que la moitié de la hausse s’explique par le pouvoir de marché des constructeurs, à travers la montée en gamme et le pricing power (5). Au-delà d’exclure du marché neuf une bonne partie des classes moyennes, cette stratégie conduit à la baisse des ventes de 22 %. La tendance s’accentue en 2025 : sur la base des premières données disponibles, le marché s’établirait à 1,71 millions d’immatriculations d’ici la fin de l’année, contre 1,76 en 2024 et 1,82 en 2023.
Une demande dynamique pour les véhicules électriques français
Dans un marché français en recul, les véhicules électriques résistent bien. Cette année, les ventes de voitures électriques dépassent désormais celles de 2024 à la même période. D’après les données disponibles à fin septembre, et en prenant en compte le leasing social lancé le 30 septembre, les voitures électriques devraient atteindre environ 20 % du marché automobile neuf français sur l’ensemble de l’année 2025.
Graphique : Immatriculations annuelles de voitures particulières par motorisation en France

Note : les données présentées pour l’année 2025 sont prévisionnelles, sur la base des données arrêtées à fin septembre. Source : SDES, Motorisations des véhicules légers neufs – Émissions de CO2 et bonus écologique – Septembre 2025.
Les pourcentages représentent la part de marché des véhicules électriques.
Les voitures électriques résistent à la baisse du marché car elles sont de moins en moins chères. Leur coût à l’usage est bien inférieur à celui des thermiques, mais leur prix à l’achat restait jusqu’alors le principal frein à leur acquisition. Aujourd’hui, de plus en plus de modèles abordables sont disponibles, comme la Renault 5 e-Tech ou la Citroën ë-C3 lancées à la fin de l’année 2024, toutes deux à moins de 25 000 euros. De plus, les subventions, auparavant sous la forme d’un bonus écologique, et désormais via une prime de Certificats d’économie d’énergie (CEE) permettent de réduire le surcoût à l’achat par rapport à une voiture thermique.
Surtout, les petits modèles abordables ont du succès en France. Le lancement de la nouvelle édition du leasing social avec des véhicules électriques entre 100 € et 200 € par mois rencontre une forte demande de la part des ménages modestes. Sur le reste du marché, ce sont aussi des petites voitures électriques qui sont plébiscitées : Renault 5, ë-C3 et Peugeot e-208, trois citadines à des prix modérés, sont 3 des 4 modèles les plus vendus. Seule la Tesla Model Y fait exception.
Des mesures pour accompagner l’industrie automobile européenne
Aujourd’hui, environ 75 % de la chaîne de valeur d’un véhicule électrique vendu en Europe se situe également en Europe. Une part élevée, mais inférieure à celle d’un véhicule thermique, produit en Europe à 90 %. Cette différence est particulièrement liée à la batterie, souvent fabriquée en Chine, et dont les composants essentiels sont produits également en Chine. En l’état actuel de la filière, la transition vers le véhicule électrique exposerait donc les constructeurs automobiles à des risques d’approvisionnement. C’est pourquoi des aides à la structuration de la filière sont mises en place au niveau français comme au niveau européen, avec des subventions accordées par l’État français pour la création de gigafactories de batteries, ou la mise en œuvre du plan RESourceEU, pour développer l’ensemble de la chaîne de valeur sur le territoire européen, jusqu’à l’approvisionnement en terres rares.
La concurrence des véhicules électriques chinois, souvent moins chers que les véhicules européens, est aussi présentée comme un obstacle au 100 % électrique. Mais des mesures ont été mises en place pour limiter l’impact de cette concurrence, jugée déloyale, telles que les taxes sur les importations de véhicules électriques fabriqués en Chine. L’application de ces taxes a non seulement eu pour effet de limiter les importations de véhicules chinois, mais aussi d’inciter les constructeurs à produire en Europe. Les aides financières à l’achat ou la location de véhicules électriques y concourent aussi, avec l’éco-score dans le bonus écologique en France ou la surprime CEE pour les véhicules dont la batterie est fabriquée en Europe. Ainsi, en 2024, les importations de véhicules électriques ont diminué d’un quart, réduisant le déficit commercial français sur ce segment (6).
Revenir sur le règlement met des investissements et des activités à risque
Avec le soutien de l’État, constructeurs automobiles et acteurs de l’énergie se sont associés pour organiser la production de véhicules électriques en France, et particulièrement la fabrication des batteries en créant des gigafactories. La création de ces usines à grande échelle a demandé d’importants investissements, dont une partie a été subventionnée par l’Etat. Le développement de capacités de production constitue une assurance d’approvisionnement pour la filière automobile, ainsi qu’une meilleure maîtrise des coûts. Mais pour réussir face à la concurrence des batteries chinoises moins chères, ces usines ont besoin de débouchés sur le marché national et européen.
En aval, pour dépasser ce qui a souvent été un frein à l’acquisition d’un véhicule électrique, les acteurs de la recharge ont réalisé d’importants investissements et augmenté le nombre de bornes disponibles. Ces acteurs ont désormais besoin de voir leurs infrastructures exploitées pour rentabiliser leurs investissements.
La transition vers le véhicule électrique s’accélère, en raison de ses avantages en matière de lutte contre le changement climatique, de pollution de l’air, mais aussi par son moindre coût à l’usage et sa contribution à la souveraineté énergétique. Réviser les objectifs retarderait la transformation de la filière, et mettrait à risque les investissements consentis dans la chaîne de production des véhicules électriques en France. Au demeurant, une révision du règlement n’offrirait aucun débouché immédiat pour les véhicules thermiques actuellement invendus. Maintenir les échéances tout en soutenant la filière électrique européenne aidera le secteur automobile à surmonter les risques liés à cette transition.
Références
(1) A. Cadec, A. Jacquemet et R. Cardon, «Contre un crash programmé : dix-huit mesures d’urgence pour l’industrie automobile française», 2025.
(2) Direction Générale des Entreprises, «Portrait de la filière automobile à l’heure de sa transition vers l’électrique,» 2024.
(3) T. Pardi, Is Electrification an Opportunity or a Threat? The French Automotive Industry at the Crossroads, 2025.
(4) Banque de France, «L’insertion internationale des grands groupes automobiles français s’est profondément transformée depuis dix ans,» 2025.
(5) Institut des Mobilités en Transition, «Le vrai du faux sur les causes de l’augmentation des prix des véhicules entre 2020 et 2024,» 2025.
(6) G. Guichard, «Voiture électrique : face à la vague chinoise, le retour en force du made in France,» Les Échos, 2025.