Prix du carbone : les vents contraires

Après plusieurs années de forte hausse, l’édition 2023 des Comptes Mondiaux du carbone d’I4CE – qui dresse un panorama des taxes et marchés carbone à travers le monde – révèle une relative stabilisation des revenus générés par ces mécanismes de tarification du carbone. Mais cette stabilité est en trompe-l’œil. Le futur a rarement été aussi incertain pour les prix du carbone, pris entre des tendances contraires très fortes, et les années à venir pourraient marquer un tournant majeur, à la hausse ou à la baisse, pour le recours à ces instruments de politique climatique.

 

Entre généralisation et rejets : une internationalisation sous fortes turbulences 

En introduisant son mécanisme d’ajustement aux frontières (MACF) en octobre 2023, l’Union Européenne force ses partenaires commerciaux à prendre position sur leur propre tarification du carbone. C’est un pari : si ce nouveau mécanisme peut pousser l’adoption de mécanismes miroirs à travers le monde, son rejet pourrait sérieusement miner le marché européen qui en dépend pour réduire ses allocations gratuites et augmenter sa propre ambition environnementale. Au-delà d’un pari, c’est aussi un message clair, et nouveau : désormais, les prix du carbone ne sont plus l’affaire d’initiatives indépendantes, nationales ou communautaires, ils doivent maintenant interagir à l’échelle mondiale.

 

Or ce nouveau dialogue démarre dans des conditions difficiles. De nombreux pays en développement dénoncent dans le MACF une décision unilatérale, mettant en péril leurs exportations, sans proposer en parallèle aucune aide pour décarboner leurs économies. L’Inde et l’Afrique du Sud menacent même de porter cette contestation à l’Organisation Mondiale du Commerce pour faire révoquer une mesure qu’ils jugent protectionniste. Ces contestations, sur fond de crispation croissante de la diplomatie mondiale, sont d’autant plus légitimes que les pays développés ont nouvellement échoué à tenir leurs engagements de financement vis-à-vis de leurs homologues en développement. L’OCDE vient de signaler que les fameux 100 milliards d’aide climat des pays développés vers les pays en développement n’ont toujours pas été atteints en 2021, d’après les dernières données consolidées ; et l’accord pré-COP sur le financement des pertes et préjudices n’est à ce stade, de l’avis général, satisfaisant pour personne.  

 

Les mécanismes nationaux dans la tourmente 

Par ailleurs, les ambitions climatiques nationales sont elles-mêmes malmenées par les crises successives du Covid et des prix de l’énergie, mettant en péril des leaders traditionnels du sujet. Premier d’entre eux, le prix du carbone canadien : le mécanisme mis en place par l’État fédéral, pionnier dans son ambition, souvent pris en exemple à l’international, est aujourd’hui très fortement contesté par plusieurs provinces. Suite à la mise en place d’une exemption temporaire sur le chauffage au mazout, historiquement plus utilisé dans les provinces atlantiques, les provinces se chauffant majoritairement au gaz crient à l’injustice et demandent à leur tour une exemption, ou l’annulation pure et simple de la taxe. Le vif débat en cours illustre, à l’échelle d’un pays fédéral, la difficulté à embarquer dans un seul mécanisme des juridictions avec des contraintes et des ambitions climatiques très différentes. Et pourtant, le Canada dispose d’un gouvernement fédéral capable de jouer le rôle d’arbitre, et d’imposer une décision commune à l’ensemble de ces provinces ; cet arbitre n’existe pas dans le schéma actuel de la gouvernance mondiale sur le climat, rendant la convergence sur les prix du carbone encore plus difficile.  

 

L’écueil de la diversité 

Malgré tout, les prix du carbone enregistrent ces jours-ci des succès importants, attribuables au moins en partie au mécanisme européen : le Brésil, l’Indonésie, le Vietnam, le Cambodge parmi d’autres ont récemment annoncé ou mis en œuvre de nouveaux mécanismes de tarification qui leur permettront de poursuivre leurs exportations en accord avec le cahier des charges du MACF de l’UE. Même l’Inde, en parallèle de sa démarche de contestation à l’OMC, vient de publier la première ébauche d’une taxe à l’exportation alignée sur ce même cahier des charges. Les États-Unis, qui n’ont pas de mécanisme de tarification carbone au niveau fédéral aujourd’hui, envisagent plusieurs solutions pour répondre au MACF européen, notamment un MACF fédéral basé sur l’intensité carbone des produits, plutôt que sur des plafonds absolus d’émissions. Le G7 soutient par ailleurs la création d’un « club climat » de membres disposants de politiques de tarification similaires, qui étendraient un MACF commun à l’ensemble de leurs frontières.  

 

La diversité de ces réponses illustre un point qui est à la fois une force et une limite des mécanismes de tarification du carbone : leur flexibilité, et leur diversité. Cette diversité a fait la force des prix du carbone, à l’heure de s’adapter à des problématiques nationales très différentes ; elle représente aujourd’hui un défi important pour amener ces mécanismes à dialoguer entre eux. L’édition 2023 des Comptes Mondiaux s’attache à mettre en avant et à décrypter ces diversités. 

 

Plus d’information: Édition 2023 des Comptes mondiaux du carbone

 

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