Clarifier le lien entre gestion des risques climatiques et financement de la transition

14 février 2024 - Étude Climat - Par : Romain HUBERT / Anuschka HILKE

Le cas des banques et de leurs autorités prudentielles

 

Rapport uniquement disponible en anglais

 

Un rapport pour éclaircir les liens entre deux approches de l’action climatique pour le secteur financier 

La mobilisation du secteur est nécessaire pour contribuer au financement de la transition bas-carbone. Certaines parties prenantes préconisent donc la mobilisation explicite du secteur en faveur du financement de la transition. Cette logique d’action est appelée « l’approche financement de la transition ».  

 

Le secteur est également exposé aux risques financiers liés au changement climatique et à la nécessaire transition. Ce constat motive une logique d’action connue sous le nom « d’approche par les risques », visant à gérer l’exposition des institutions financières à ces risques. 

 

Dans la pratique, les autorités prudentielles ont abordé la question du climat à travers le prisme des risques. De nombreuses parties prenantes ont exprimé l’espoir qu’une meilleure gestion des risques climatiques dans le secteur financier contribuerait à mobiliser le secteur pour financer la transition. 

 

Ce rapport cherche à clarifier objectivement dans quelle mesure l’approche par les risques pourrait effectivement conduire à mobiliser les institutions financières privées pour financer la transition. Il se concentre sur les institutions bancaires commerciales et leurs autorités prudentielles au niveau de l’Union européenne. Il s’appuie sur les résultats des projets Finance ClimAct et 4i-Traction, ainsi que sur des recherches plus larges menées par les auteurs et des références bibliographiques. 

 

Du point de vue d’une banque commerciale, l’approche par les risques ne favorise pas nécessairement le financement de la transition  

« L’approche risque » de la banque vise à gérer le profil rendement-risque de ses portefeuilles. En théorie, si la banque intégrait les questions de transition et d’impacts climatiques physiques dans son processus de gestion des risques, cela pourrait la mener à pénaliser financièrement le développement d’activités néfastes pour le climat. Cela pourrait également conduire la banque à encourager le développement d’activités bénéfiques à la transition bas-carbone de l’économie. 

 

Toutefois, dans la pratique, les deux types de conditions nécessaires pour que l’approche du risque d’une banque favorise le financement de la transition ne sont pas toujours remplies.  

 

D’une part, les banques ne perçoivent pas nécessairement les activités néfastes pour le climat comme financièrement plus risquées dans l’horizon de temps qui les intéresse. Cela est lié, par exemple, à l’hypothèse qu’une entreprise menant de telles activités pourrait compter sur sa solidité financière afin de gérer les conséquences de son exposition à la transition et aux impacts climatiques. La banque peut également considérer que l’activité de l’entreprise n’est en risque qu’après la fin du service financier contracté. Elle peut aussi considérer subjectivement que les scénarios qui mettent l’entreprise en danger ne sont pas suffisamment crédibles pour justifier une révision du profil rendement-risque de l’entreprise. 

 

D’autre part, lorsqu’une banque décide de gérer activement son exposition au risque climatique, le résultat n’est pas nécessairement bénéfique à la transition. Par exemple, si la banque se désengage d’une entreprise impliquée dans des activités néfastes pour le climat – en vendant ses parts, en n’accordant plus de prêts, etc. –, d’autres acteurs peuvent alors proposer des services financiers similaires à cette entreprise, mais sans intention de l’inciter à rendre ses activités plus vertes. La banque une fois désengagée peut également rediriger ses services vers d’autres activités qui ne contribuent pas de manière significative à la transition vers une économie bas-carbone, et ce d’autant plus que les activités favorables à la transition peuvent être risquées et non rentables. 

 

Visuel : Lorsqu’une banque gère son exposition au risque de transition d’une entreprise dont les activités sont néfastes pour le climat, cela ne contribue pas nécessairement à financer la transition

 

 

Dans une perspective prudentielle, l’approche risque présente un plus grand potentiel de convergence avec l’approche financement de la transition 

L’approche risque des autorités prudentielles met l’accent sur la stabilité financière. Leurs analyses précisent qu’une transition rapide, ordonnée et compatible avec un objectif climatique ambitieux, réduit considérablement le risque d’instabilité financière en Europe par rapport aux autres scénarios, tant à court qu’à long terme. Les superviseurs du secteur financier reconnaissent également qu’un changement climatique non maîtrisé peut être une source importante d’instabilité financière, et que leurs analyses sous-estiment actuellement l’ensemble des risques. 

 

Compte tenu de l’état actuel des connaissances, les autorités prudentielles devraient donc intégrer la nécessité de favoriser immédiatement une transition ambitieuse et ordonnée. Toutefois, les mesures prises jusqu’à présent (tests de résistance ; attentes des superviseurs en matière de gestion du risque climatique par les banques) ne visaient pas explicitement à stimuler le financement de la transition et rien ne garantit qu’elles produiront des résultats dans ce sens. En règle générale, conditionner l’application d’actions correctives sur les banques à l’amélioration des mesures de risque par les tests de résistance conduirait à un calendrier d’action vraisemblablement incompatible avec l’urgence de mener à bien une transition ambitieuse.  

 

Ce que les autorités bancaires prudentielles devraient faire pour réaliser le potentiel de leur approche risque afin de mobiliser le financement de la transition  

Les autorités prudentielles devraient mettre en œuvre deux principes d’action définis dans le rapport. « L’approche de précaution proactive » consisterait à prendre immédiatement les mesures préventives nécessaires pour éviter les pires impacts anticipés, sur la base de l’état actuel des informations disponibles, plutôt que d’attendre l’information parfaite. Cela permettrait de clarifier que le financement de la transition est une priorité prudentielle. Un « principe de coordination » permettrait également de clarifier le rôle des autorités prudentielles. Le rapport montre comment elles devraient soutenir les stratégies de transition décidées par les gouvernements, et comment elles devraient être actives dans l’ajustement de leurs propres approches et aider à construire des coopérations entre les autorités publiques là où c’est nécessaire.  

 

Les autorités prudentielles devront également se pencher sur un éventail plus large de questions prudentielles liées au climat, par exemple les questions de prise de risque liées au financement de la transition. Elles devront faire cela en veillant à contribuer de manière proactive à la mise en place d’un ensemble de politiques compatible avec l’objectif de mobiliser le financement de la transition.  

 

Par exemple, il sera important de cadrer les plans de transition du Pilier 2 de manière à encourager les banques à élaborer des stratégies de financement de la transition granulaires, ambitieuses et applicables, en cohérence avec les actions des gouvernements et sans créer de prise de risque excessive à court terme. 

 

 

Ce rapport fait partie du projet Finance ClimAct et a été réalisé avec la contribution du programme LIFE de l’Union européenne. Ce travail reflète uniquement les opinions dI4CEInstitute for Climate Economics. Les autres membres du Consortium Finance ClimAct et la Commission européenne ne sont pas responsables de l’usage qui pourrait être fait des informations qu’il contient. 

 

Avec la contribution du programme European Union LIFE

Pour aller plus loin
  • 05/07/2024
    Après 5 ans de Green Deal, où en est l’Europe sur la voie de la décarbonation ?

    À la suite des élections européennes du 9 juin, l’Union européenne s’adapte à une nouvelle réalité politique plus conservatrice. Malgré cette évolution, les nouveaux dirigeants européens devront trouver une réponse crédible à la question de savoir comment le continent doit parvenir à la neutralité climat d’ici à 2050. Pour comprendre comment y parvenir, nous devons avoir une idée claire des progrès déjà accomplis. C’est là qu’intervient l’Observatoire européen de la neutralité climat (European Climate Neutrality Observatory, ECNO).

  • 28/06/2024
    Des actifs échoués aux actifs à risque : repenser l’approche des institutions financières privées européennes

    Les institutions financières privées doivent recadrer leur approche sur la gestion des risques liés aux actifs échoués. L’approche actuelle, qui consiste à quantifier l’exposition au secteur des combustibles fossiles dans un cadre limité de portefeuilles financiers (principalement des prêts), sous-estime largement les pertes potentielles liées à l’échouage (lorsqu’un actif devient “échoué”, c’est-à-dire subit une dépréciation forte, inattendue). Étant donné que la transition vers une économie à faibles émissions de carbone a des répercussions sur tous les secteurs économiques, les institutions financières privées doivent prendre en compte les risques d’échouage liés à la transition dans leur cadre global de gestion des risques liés à la transition, en adoptant une approche « globale de l’économie ». Les approches traditionnelles de gestion des risques sont mal adaptées aux défis méthodologiques et de quantification des risques d’échouage liés à la transition, de sorte qu’une approche flexible, dynamique et prospective est nécessaire.

  • 25/04/2024
    Recommandations d’I4CE à l’Autorité bancaire européenne sur les plans de transition prudentiels

    L’Autorité bancaire européenne (EBA) clarifie la manière dont les banques doivent élaborer et mettre en œuvre leur « plan de transition », comme l’exige la réglementation prudentielle de l’Union Européenne (UE). Le plan de transition est la feuille de route stratégique de la banque, pour préparer une transition vers une économie durable telle que définie par les juridictions dans lesquelles elle opère, y compris une économie européenne neutre sur le plan climatique. Il a été introduit dans plusieurs cadres réglementaires de l’UE, notamment en tant qu’obligation de reporting découlant de la directive européenne CSRD. Le cadre prudentiel et l’EBA se concentrent sur un aspect spécifique : la manière dont les banques prévoient de gérer leurs risques financiers liés à la transition. L’encadrement de ces plans par l’EBA sera essentiel pour déterminer si les banques gèrent leurs risques financiers de manière cohérente avec le besoin plus large de financer la transition vers une économie bas carbone.

Voir toutes les publications
Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
Inscrivez-vous à notre liste de diffusion :
Je m'inscris !
Inscrivez-vous à notre newsletter
Une fois par semaine, recevez toute l’information de l’économie pour le climat.
Je m'inscris !
Fermer