Le Label Bas-Carbone : quel bilan après 6 ans d’existence ?

2 juin 2025 - Étude Climat - Par : Simon MARTEL / Paul MOUSSET / Julia GRIMAULT / Hadda BOURDAREAU / Clothilde TRONQUET

Créé en 2018 et porté par le Ministère de la Transition Écologique, le Label Bas Carbone (LBC) est un outil de financement de projets « positifs pour le climat », au service de la Stratégie Nationale Bas Carbone. Basé sur une mesure d’impact carbone combinée à l’évaluation de différents critères de qualité (additionnalité, impacts environnementaux…), il démontre et cer­tifie l’impact climatique d’activités sur le territoire français, principalement pour les secteurs agri­cole et forestier, dans le but de faciliter leur finan­cement. Cet outil mobilise principalement des financements privés issus d’entreprises, souvent de type compensation ou contribution carbone, ce qui représente un atout dans un contexte de contrainte sur les dépenses publiques.

 

Après 6 années d’existence, cette étude vise à faire le point sur ce dispositif et ses projets : quelles activités sont mises en place sur le terrain, pour quel impact climatique, avec quelle robus­tesse ou au contraire quelles limites en termes de mesure, d’intégrité environnementale, d’ac­cessibilité… ? Cet exercice vise également à alimenter le processus d’amélioration continue du dispositif, qui aura prévu entre 2024 et 2025 une révision des principaux textes de références du label.

 

 

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Plus de 6 MtCO2 potentielles, principalement issues des secteurs agricole et forestier

Au 31 mars 2025, 1 685 projets Label Bas- Carbone (LBC) sont validés, représentant un impact potentiel de 6,41 MtCO2eq, qui sera vérifié et ajusté 5 ans après le lancement de chaque projet. Quatre types de pratique dominent : le boisement et la reconstitution de forêts dégradées en forêt, et les pratiques bas-carbone en élevage bovin et en grandes cultures pour le secteur agricole. La croissance de l’offre du LBC suit une tendance exponentielle : environ 2,8 MtCO2eq potentiels vali­dés en 2024, c’est le double de 2023. Les projets couvrent l’ensemble du territoire hexagonal, avec une extension prévue aux territoires ultramarins.

 

Contrairement aux standards internationaux de certification carbone, le LBC forestier se concentre sur de petits projets individuels (10,8 ha en moyenne) tandis qu’en agriculture, les projets sont plutôt collectifs, de grande taille et ciblent majoritairement les grandes exploitations.

 

Les filières agricoles et forestières se sont fortement mobilisées pour développer des projets, s’appropriant le LBC comme levier de montée en compétences sur les enjeux climatiques. Le LBC a aussi favorisé l’émergence de nouvelles entreprises ayant bâti leur modèle économique autour de ce dispositif. Cette dynamique, avec ses réussites et ses limites, constitue un retour d’expérience précieux pour les initiatives émergentes de rémunération des services écosystémiques (PSE, crédits biodiversité).

 

En forêt : du reboisement de forêts dégradées avant tout

Les 1200 projets forestiers étudiés couvrent plus de 12 000 ha et vont générer 3,3 MtCO2 poten­tielles, dont principalement :

 

  • 3 800 ha de boisements pour 1,26 MtCO2 potentiels, à 83 % sur d’anciennes terres agricoles.
  • 5 000 ha de forêts reconstituées suite à un incendie pour 1,02 MtCO2 potentiels, dont 93 % en Nouvelle-Aquitaine, principalement suite aux incendies survenus en Gironde durant l’été 2022.
  • 3 300 ha de forêts reconstituées suite à un dépérissement pour 0,71 MtCO2 potentiels, dont au moins 72 % font suite à l’épidémie de scolytes sur les épicéas du Nord-Est de la France.

 

Dans leur ensemble, les plantations Label Bas-Carbone diversifient les essences plan­tées, ce qui est important pour la résilience des projets : autour de 5 essences en moyenne pour les projets de boisement et de reconstitution post-dépérissement et 2,5 essences pour ceux de reconstitution post-incendie. En dehors des contextes pédoclimatiques contraints comme les Landes de Gascogne qui restreignent les pos­sibilités, une minorité de projets ne joue pas le jeu de cette diversification. Les seuils d’obligation minimale de mélange, imposés depuis avril 2025, vont donc dans le bon sens.

 

La quantification du carbone est de mieux en mieux encadrée, grâce au processus d’amé­lioration continue qui s’applique. Afin d’éviter des erreurs de calculs observées pour certains pro­jets, de plus en plus de paramètres sont fixés par les méthodes (tables de production, durées de révolution), ce qui facilite également le travail des mandataires et des instructeurs des projets.

 

Les effets de substitution représentent 26 % des gains carbone potentiels fores­tiers et parfois beaucoup plus sur certains projets. Cette particularité du LBC dans le paysage des standards carbone ne peut être assumée que si l a quantification des effets de substitution est réaliste, avec une diminution projetée dans le temps au gré de la décarbonation de l’économie. C’est le chemin pris par la nouvelle version des méthodes forestières. Une transparence accrue sur la nature des différents certificats carbone sera également bienvenue pour renforcer la crédibilité du LBC.

 

22 % des certificats potentiels ne sont pas générés (entre 10 % et 39 % suivant les projets), en vertu de l’application de différents rabais pour tenir compte des risques clima­tiques, d’éventuels effets d’aubaine ou biais. Une évaluation de ces rabais à mesure de la mon­tée des risques permettrait de renforcer encore davantage la robustesse du LBC.

 

En agriculture : des projets collectifs et multi-leviers en élevage et en grandes cultures

Les 3 500 exploitations engagées dans un projet Carbon’Agri ou Grandes Cultures mobilisent en moyenne 4 leviers (par exemple l’optimisation de l’âge au premier vêlage ou encore l’introduction de légumineuses dans les rotations), qui couvrent les principaux postes d’émissions : la fermentation entérique, la fertilisation, et le carbone du sol.

 

L’impact moyen est d’environ 1 tCO2/ha/an, réalisé principalement via des réductions d’émis­sions en élevage et de la séquestration dans les sols en grandes cultures. On note cependant que ce qu’on appelle séquestration dans les sols correspond aussi à une limitation du déstockage (émissions évitées), même si cette distinction est difficile à établir en raison des incertitudes.

 

Des débats existent autour de la quantifi­cation carbone dans les deux méthodes agri­coles, qui pourrait être améliorée via deux leviers :

 

  1. Un changement de métrique carbone pour la méthode Carbon’Agri (élevage), qui encourage actuellement l’optimisation des systèmes, mais entrave les change­ments structurels, pourtant indispensables pour atteindre les objectifs climatiques du secteur agricole.
  2. Une amélioration du recours à la modé­lisation dans la méthode Grandes Cultures, via une sélection plus stricte des leviers carbone et la correction d’effets d’au­baine liés à l’usage de la modélisation.

 

Enfin, si bien sûr tous les projets en grandes cultures doivent avoir un bénéfice climatique net positif, une augmentation des émissions brute est possible si elle est contrebalan­cée par une séquestration carbone supé­rieure. Afin de tenir compte des incertitudes liées à la séquestration du carbone dans les sols, une limite pourrait être introduite à cette possibilité d’augmenter des émissions.

 

Une demande à la fois volontaire et réglementaire qui consent à un prix du carbone relativement élevé

Les projets sont historiquement financés par des entreprises françaises de tailles et de secteurs variés, dans une logique de contribution carbone volontaire. Ces financeurs paient en moyenne 35 €/tCO2, ce qui est plus de 4 fois plus que les prix du marché international. Malgré la baisse du marché volontaire mondial, en partie lié à une crise de confiance, le LBC reste attractif, en raison de sa crédibilité et de la possibi­lité de financer des projets au coeur des territoires.

 

En parallèle, une demande réglementaire a émergé depuis 2022 suite à la loi Climat et Rési­lience, principalement de la part des compagnies aériennes opérant des vols domestiques, pour un prix moyen de 30,7€/tCO2. Cette demande représente 40 % à 80 % des préfinancements de projets et structure donc le marché. Cette démarche présente également l’intérêt d’encou­rager les projets les plus performants en termes de biodiversité, même si le mécanisme de bonification pourrait être revu sur la forme pour ne pas convertir de la biodiversité en car­bone, et ainsi préserver le rôle de « thermomètre carbone » du LBC.

 

Si un minimum de 30 % des projets est déjà préfinancé, la demande, notamment d’origine volontaire, reste fragile pour les projets LBC, particulièrement pour les projets agricoles. Ceux-ci cumulent un prix à la tonne de CO2 plus élevé et un narratif moins séduisant que les projets forestiers. Ils peinent également à mobiliser l’aval de leur chaîne de valeur.

 

Parmi les pistes pouvant être activées pour ren­forcer et pérenniser cette demande volon­taire, on note notamment le besoin de ren­forcer la transparence en clarifiant mieux les différents types de certificats validés au sein du registre, mais également le besoin de préciser les revendications des financeurs, notamment ceux issus de l’aval de la chaîne de valeur agricole.

 

Enfin, dans ce contexte de fragilité de la demande volontaire et de contrainte sur les finances publiques, le renforcement du levier réglementaire est également un levier clé pour débloquer les finan­cements nécessaires pour la transition des secteurs agricoles et forestiers. Il pourrait se faire :

 

  • Auprès des obligés actuels, via une augmentation du prix de référence de 40€/tCO2, ce qui permettrait également d’ac­compagner l’amélioration de l’intégrité environ­nementale des projets ; ou via une révision à la hausse de la part du volume d’émis­sions à compenser sur le sol européen (50 % aujourd’hui).
  • En élargissant cette obligation à de nou­veaux secteurs.

 

Le LBC : un outil de mesure d’impact qui a su s’implanter dans tous les territoires

Le Label Bas-Carbone s’est imposé comme un outil structurant pour orienter des finance­ments « climatiques » privés vers les sec­teurs agricoles et forestiers en France. Il est globalement salué pour sa gouvernance ouverte et son approche « bottom-up », son ancrage territorial, ainsi que pour sa capacité à mobiliser un écosystème d’acteurs variés autour des enjeux climatiques. Il a également produit des outils de référence pour le calcul de l’impact car­bone des pratiques, qui sont aujourd’hui utilisés bien au-delà. Dans un contexte où il est devenu indispensable de se soucier de l’efficacité des financements apportés, ces outils permettant d’explorer la mesure d’impact sont clés.

 

Dans une logique de rigueur scientifique mais également d’accessibilité pour des acteurs de toute taille, le LBC expérimente également différentes manières de trouver un juste équilibre entre coût et précision de la mesure carbone (usage des rabais ou méthodes cadrantes par exemple). C’est la recherche de cet équilibre qui le rend globalement plus accessible pour les porteurs de projets que la plupart des labels internationaux. Ainsi, le LBC est parti­culièrement adapté aux petits projets, pour la forêt notamment.

 

Enfin, le LBC est également un outil « à tête chercheuse », qui permet de faire remonter des données sur la mise en oeuvre des pratiques « carbone », la faisabilité technique, les coûts, les freins et facilitateurs. Les données collectées sont ainsi précieuses pour accompagner le déve­loppement des politiques publiques sectorielles et climatiques.

 

Un processus d’amélioration continue à poursuivre sur plusieurs points

Au-delà de ces atouts, le LBC présente aussi des limites, qui sont partiellement déjà traitées dans son processus d’amélioration continue (revue régulière des principaux documents de cadrage). Il est ainsi nécessaire de continuer à assurer l’évo­lution technique du label et de ses méthodes au gré des avancées de la science, des retours terrain et de l’évolution du marché. Plusieurs limites méthodologiques ont ainsi déjà été pointées, et ont été ou sont actuellement dis­cutées dans le cadre de la révision des méthodes. Ce processus d’amélioration est clé, en ce qu’il permet de corriger les limites et erreurs observées et de continuer à s’adapter à un contexte mouvant, tout en renforçant l’intégrité environnementale là où il y en a besoin. Il faut également s’attendre à ce que processus renchérisse le coût de la tonne de CO2, et prendre en conséquence des mesures pour garantir la demande.

 

Consolider la gouvernance et la transparence

Le LBC est porté par le Ministère de la Transi­tion Ecologique, mais la gouvernance est assez ouverte et ascendante, dans la mesure où les méthodes sont proposées à l’initiative des par­ties-prenantes et que de nombreux acteurs parti­cipent au Groupe Scientifique et Technique (GST) qui donne son avis sur les évolutions techniques. Si cette gouvernance s’est renforcée au cours du temps, il reste des pistes d’amélioration à mettre en oeuvre : l’harmonisation accrue des processus d’instruction des projets par les DREALs, une plus grande transparence autour des rapports du GST, la création d’un « comité des usagers » consultatif ou encore des financements dédiés pour assu­rer la révision régulière des méthodes. Enfin, si certaines données sont déjà consultables pour chaque projet sur le site du MTE (co-bénéfices, essences, leviers..), d’autres devraient être rendues publiques pour améliorer la transparence (rabais, calculs carbone…).

 

De nouvelles perspectives et de nouveaux défis

Enfin, au-delà des améliorations techniques et de gouvernance internes à l’outil, le LBC va également être confronté à de nouveaux défis dans les années à venir, en lien avec le contexte français mais aussi international. Tout d’abord, en interne, l’arrivée des audits indépendants et obligatoires, 5 ans après la validation des projets, devra permettre de transformer et ajuster les impacts GES potentiels en impacts vérifiés. Ensuite, la dynamique de diversification des pratiques ciblées par les méthodes devra se poursuivre afin de mieux refléter le panel des actions climatiques possibles.

Concernant le contexte international, le LBC ne pourra se passer d’une reconnaissance hors de nos frontières, notamment pour s’assurer de son attractivité auprès des grands groupes. Cela pourra passer par de la documentation en anglais ou une accréditation par les méta-stan­dards qui labellisent la qualité des standards de certification. Enfin, l’arrivée d’un cadre de certi­fication carbone au niveau européen (CRCF), constitue à la fois une opportunité et un défi pour le LBC. Deux scénarios se dessinent pour les prochaines années : une intégration du LBC au CRCF, entraînant des changements pro­fonds (abandon des crédits ex-ante, des réduc­tions d’émissions indirectes, transition vers des certificats temporaires…), ou un maintien indé­pendant, mais avec une possible perte d’attrac­tivité pour les financeurs qui opèrent à l’échelle l’internationale.

 

 

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Contacts I4CE
Simon MARTEL
Simon MARTEL
Chercheur – Certification carbone, Forêt, Carbon farming Email
Julia GRIMAULT
Julia GRIMAULT
Directrice de programme – Agriculture et Forêt Email
Clothilde TRONQUET
Clothilde TRONQUET
Chercheuse – Carbon farming, Marchés carbone, Clubs Agriculture et Forêt Email
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