Climat : où en sont les investissements des collectivités ?

14 novembre 2025 - Billet d'analyse - Par : Aurore COLIN

Porteuses des deux tiers de l’investissement public civil, les collectivités locales jouent un rôle déterminant pour réussir la transition bas-carbone. Le prochain mandat municipal sera décisif pour atteindre les objectifs climat que la France s’est fixée à l’horizon 2030.  À l’heure des débats sur le projet de loi de finances 2026 et à la veille du Congrès des maires, les marges de manœuvre budgétaires des territoires suscitent de nouvelles interrogations. Les analyses d’I4CE montrent que les investissements des collectivités en faveur du climat ont progressé depuis 2017, mais cette dynamique pourrait marquer le pas en cette fin de mandat. Par ailleurs, les montants engagés demeurent encore insuffisants au regard des besoins identifiés pour contribuer aux objectifs nationaux de réduction des gaz à effet de serre. Le prochain mandat doit donc être celui d’un changement d’échelle. Pour réussir, État et collectivités doivent changer de méthode afin d’activer pleinement les leviers existants et renforcer l’action locale en faveur de la transition.  

 


Avertissement : Le périmètre des investissements des collectivités en faveur du climat estimés par I4CE correspond aux dépenses d’investissement des collectivités dédiées à la décarbonation des bâtiments, des transports et dans une moindre mesure de l’énergie. Le périmètre couvert par cette analyse n’inclut donc pas l’ensemble des dépenses des collectivités liées à la planification écologique, ni celles dédiées à l’adaptation au changement climatique.  


 

Les investissements des collectivités en faveur du climat ont augmenté de 42 % depuis 2017 

Une progression tirée par un effet prix important 

Les investissements des collectivités en faveur de la décarbonation des secteurs du bâtiment, de l’énergie et des transports ont progressé depuis 2017 pour atteindre près de 8 milliards d’euros en 2023. Cette augmentation s’est enclenchée à la fin du précédent mandat municipal (2014-2019) et s’est confirmée pendant le mandat actuel (2020-2025), notamment grâce à l’effort réalisé en 2020 dans les aménagements cyclables et le ferroviaire et en 2022 dans la plupart des secteurs après une baisse en 2021. Un peu plus de la moitié de cette augmentation s’explique cependant par l’augmentation des prix pour un même volume de travaux réalisés ou d’équipements acquis. Cet effet prix a été particulièrement important dès 2021 et surtout en 2022 et 2023, où l’inflation a atteint un niveau élevé avec, entre autres, une hausse des coûts de l’énergie et des matériaux dans de nombreux secteurs. Depuis 2017, nous estimons ainsi que les investissements ont augmenté de 42 % en valeur, contre 18 % en volume, c’est-à-dire en neutralisant l’effet prix sur la base de la structure des investissements climat des collectivités et des indices des prix de l’INSEE. 

 

Des évolutions sectorielles différenciées 

Le premier poste d’investissement est celui des transports. En moyenne sur la période 2017-2023, les deux tiers des investissements ont concerné le développement et l’entretien des infrastructures de transport collectif urbain, ferroviaire et cyclable et l’acquisition de matériel roulant. Ces investissements ont connu une évolution discontinue sur la période. Les montants dédiés aux transports en commun urbains ont augmenté en 2018 puis ont diminué en 2021 avant de reprendre légèrement depuis 2022, sans toutefois retrouver leur niveau de 2018. Les investissements ferroviaires, portés majoritairement par les régions, ont connu une hausse significative en 2020, notamment pour le renouvellement et l’achat de matériel roulant TER. Les montants se sont ensuite stabilisés. Les investissements dans les infrastructures cyclables malgré un pic en 2020 – qui s’explique notamment par la pérennisation des « coronapistes » déployées pendant la pandémie Covid-19 – ont diminué sur la période.  

 

Le deuxième poste en termes de montant est celui de la rénovation énergétique des bâtiments des collectivités. Ce dernier a connu une augmentation particulièrement importante en 2021 et 2022, qui s’explique notamment par les plans de relance locaux et nationaux mis en place à la sortie de la crise sanitaire ainsi qu’une hausse importante des prix dans le secteur. Les investissements pour l’efficacité énergétique de l’éclairage public et l’acquisition de véhicules bas-carbone, bien que relativement modestes en termes de montant, sont en augmentation constante depuis 2017. 

 

 

Les données du graphique sont disponibles en format xlsx dans l’annexe téléchargeable ici.  

 


Avertissements sur les données: Les résultats d’investissements des collectivités en faveur du climat présentés dans ce billet remplacent ceux de la précédente étude Panorama des financements climat des collectivités parue en 2024. Les données ont été révisées en fonction des changements dans les sources, la méthode ou le périmètre. Cette année en particulier de nouvelles sources ont été utilisées pour l’acquisition des véhicules électriques des collectivités ; et des consolidations méthodologiques ont été réalisées dans le secteur de la rénovation énergétique des bâtiments et des transports en commun urbains. 

 

Des analyses complémentaires à l’approche d’I4CE sont nécessaires pour évaluer la dynamique d’investissement des collectivités dans l’ensemble des secteurs de la planification écologique. Les investissements sont estimés à partir d’une approche technico-économique et sectorielle. Dans cette approche, l’estimation des investissements dans la rénovation énergétique des bâtiments est basée sur les évolutions des investissements dans le secteur des bâtiments tertiaires. Faute de donnée disponible, cette approche ne prend pas en compte de dynamique spécifique aux investissements des collectivités au sein de ce secteur.   

 

D’autres analyses sont disponibles pour compléter celle d’I4CE, en particulier :  

  • Les annexes vertes publiées par la DGFIP : la comparaison dans le temps des résultats des annexes vertes pourra devenir à terme un bon thermomètre de l’évolution des investissements climat des collectivités ;  
  • La première édition de l’Observatoire des investissements du bloc communal publiée par la Banque des territoires analyse l’évolution des intentions d’investissement et des projets programmés par les collectivités locales à partir d’un échantillon représentatif. L’analyse montre que les intentions d’investissement s’accélèrent en faveur d’actions environnementales entre 2024 et 2025. 

 


 

La dynamique d’augmentation s’est affaiblie en 2023 et pourrait marquer le pas en 2024 

Les investissements pour l’année 2023 ont augmenté de 5 % en valeur et à peine 2 % en volume par rapport à 2022. En 2022, ils avaient augmenté de 12 % en valeur et près de 5 % en volume. Certains secteurs ont été plus prioritaires que d’autres : en 2023, les collectivités ont continué d’augmenter leur effort d’investissement dans l’efficacité énergétique de l’éclairage public, dans l’acquisition de véhicules bas-carbone et dans les infrastructures de transports collectifs. En revanche, les investissements dans la rénovation énergétique des bâtiments ont stagné et les investissements dans les infrastructures cyclables ont diminué de 10 %.  

 

Ce ralentissement est susceptible de perdurer et de s’étendre à d’autres secteurs. D’après les premières données consolidées pour 2024, les investissements pour la rénovation énergétique des bâtiments, les aménagements cyclables et l’acquisition de véhicules électriques ont légèrement diminué. Ces évolutions s’inscrivent dans la dynamique observée à l’échelle nationale : d’après la dernière édition du Panorama des financements climat d’I4CE, pour la première fois depuis dix ans, hors crise Covid-19, les investissements en faveur du climat de l’ensemble des acteurs ont diminué en 2024. Ce ralentissement s’explique par une conjoncture défavorable, notamment dans le secteur des bâtiments dont les taux d’intérêt élevés ont freiné le crédit nécessaire au financement des opérations de construction et de rénovation d’ampleur. Cette évolution s’explique également par des revers dans les politiques et un recul des dépenses publiques de l’État en faveur de la transition bas-carbone.  Dans ce contexte, et à moins d’un effort significatif dans les infrastructures de transport collectif dont les données ne sont pas encore disponibles, les investissements climat des collectivités devraient au global stagner voire diminuer en 2024.  

 

Un ralentissement à contre-courant du dynamisme de l’investissement local observé ces deux dernières années  

L’investissement local toutes politiques publiques confondues a progressé de 7 % en 2023 et en 2024 (OFGL, hors remboursement de la dette), tiré par la hausse des investissements des communes et des intercommunalités classiquement observées en fin de cycle électoral. Cependant, alors que les investissements des collectivités dans la décarbonation ont progressé plus rapidement que l’ensemble de leurs investissements entre 2017 et 2022, la tendance pourrait s’inverser en cette fin de mandat. Ces données font ressortir un risque de décrochage des investissements dédiés à la décarbonation dans les investissements des collectivités.  

 

 

Accélérer les investissements climat des collectivités locales : un changement de méthode s’impose  

Les investissements locaux sont essentiels pour réduire les gaz à effet de serre de la France et atteindre les objectifs fixés à l’échelle européenne et nationale. D’après le Panorama des financements climat des collectivités publié par I4CE et la Direction des études de la Banque Postale en 2024, atteindre ces objectifs nécessite que les collectivités investissent 19 milliards d’euros par an à horizon 2030, soit un peu plus du double de ce qu’elles investissent actuellement dans la décarbonation des bâtiments, des transports et de l’énergie. L’évolution des investissements en 2023 et les données provisoires pour 2024 interrogent la capacité des collectivités à accélérer leur effort à la hauteur des besoins identifiés. Ces interrogations s’accentuent avec la pression sur les budgets locaux exercée dans les lois de finances 2025 et 2026 dans le contexte de redressement des comptes publics, et le recul des dispositifs nationaux de soutien à la transition, comme la diminution du fonds vert. Dans ce contexte, l’État et les collectivités doivent changer de méthode pour relancer et accélérer les investissements en faveur du climat.  

 

Renouveler la relation entre l’État et les collectivités 

Le rôle de l’État est d’instaurer un contexte favorable pour l’investissement local et de donner les bonnes incitations pour accélérer l’effort en faveur des politiques de décarbonation. Or, les collectivités en tant que premiers investisseurs publics ont besoin de visibilité et de stabilité. Si la priorité est donnée à la réduction du déficit public, l’État doit en contrepartie apporter de la clarté et de la visibilité concernant ses attentes et son soutien aux collectivités. De nouvelles formes de contractualisation fondées sur des programmations locales d’investissement “alignées climat” pourraient constituer une voie d’expérimentation prometteuse, dans le cadre par exemple du renouvellement des contrats de réussite de la transition écologique (CRTE) qui devrait avoir lieu après les élections de 2026. Cependant, en proie à une forte instabilité, il est impossible de dire si l’État sera en capacité d’avancer sur ce sujet à court terme. En témoigne par exemple la tentative restée pour l’instant lettre morte d’annexer au budget de l’État une trajectoire pluriannuelle des dotations.  

 

Prioriser les investissements en intégrant les impacts environnementaux  

Ce contexte renforce la responsabilité des collectivités de continuer à agir et à investir malgré les incertitudes. Elles disposent pour cela de différents leviers. D’autant que le début d’un nouveau mandat offre aux collectivités une vraie opportunité pour changer d’échelle, activer pleinement ces leviers et donner un nouvel élan aux investissements en faveur du climat.  

 

Le premier levier à activer, en particulier face à des contraintes budgétaires importantes, est celui de la priorisation. Les collectivités doivent mieux intégrer l’impact climatique et environnemental des dépenses dans leurs arbitrages afin de prioriser tant que faire se peut les projets contribuant à la transition et de réduire, voire d’abandonner, ceux qui entretiennent les dépendances carbonées. Les collectivités peuvent s’appuyer sur les démarches « budget vert » comme premier outil de priorisation. Ces arbitrages sont d’autant plus pertinents qu’ils sont sources d’économies. Ils permettent d’éviter d’engager la collectivité dans des investissements coûteux et en décalage avec les objectifs de transition du territoire. Ils permettent également de privilégier des investissements visant à améliorer l’efficacité et la sobriété énergétique des équipements et du patrimoine de la collectivité ; générant ainsi des économies en dépenses de fonctionnement. I4CE estime dans une récente étude que ces arbitrages ont permis de générer près de 4 milliards d’euros d’économies d’investissement et plus de 2 milliards d’euros d’économies d’énergie depuis 2017.  

 

Évaluer et programmer les besoins d’investissement climat  

Le second levier aux mains des collectivités consiste à mieux identifier les besoins de sa collectivité et intégrer ces besoins dans la programmation d’investissement. Pour les aider dans cette démarche, I4CE a co-construit une méthode avec des collectivités pilote, « les PPI alignées climat ». Cette démarche vise à objectiver les besoins budgétaires de chaque collectivité pour la mise en œuvre de sa stratégie « climat ». Ce travail pourrait également nourrir la discussion avec les financeurs des collectivités, dont l’État, dans l’objectif de trouver des solutions adaptées au contexte de chacune. Et de surmonter collectivement, le cas échéant, l’impasse financière dans laquelle risquent de se trouver certaines collectivités.  

 

Mobiliser l’ensemble des leviers de financement  

Enfin, des marges de manœuvre financières existent encore pour de nombreuses collectivités. L’évolution de l’investissement local ces trois dernières années en est la preuve. De récentes études de l’AFL et de l’INET, soutenues par I4CE ont par exemple identifié des leviers de financement pour la rénovation énergétique et le report modal. Augmentation de la fiscalité locale, prélèvement sur la trésorerie, recours à l’emprunt, augmentation de la contribution des usagers des services publics, nouvelle coopération publique-privée… seule une mobilisation conjointe de l’ensemble des leviers, résultant de choix locaux d’une part, et d’incitations nationales claires d’autre part, permettra le changement à l’échelle nécessaire à l’atteinte de nos objectifs de décarbonation.  

Pour aller plus loin
  • 14/11/2025
    Climat : les collectivités outillées pour accélérer au prochain mandat

    À la veille du Congrès des maires, l’heure est au bilan pour les collectivités. Le mandat qui se clôture a été largement positif pour la transition des territoires. Grâce au volontarisme de leurs élus et techniciens, de nombreuses collectivités construisent depuis plusieurs années les territoires bas-carbone et résilients de demain. Beaucoup se sont aussi engagées dans une démarche de budgétisation verte visant à mieux faire rentrer l’évaluation de l’impact environnemental des choix politiques au cœur de la discussion budgétaire. En 2023, les collectivités ont ainsi investi près de 8 milliards d’euros pour développer les infrastructures de report modal, rénover leur patrimoine et électrifier leurs véhicules – soit une hausse de 42 % par rapport à 2017.  

  • 13/11/2025 Billet d'analyse
    De la bonne utilisation des annexes vertes

    Les collectivités présentent depuis cette année l’impact de leurs dépenses sur l’environnement dans une annexe à leur compte administratif. Les résultats consolidés de ces « annexes vertes » ne sont pas encore publics, mais devront en tout état de cause être manipulés avec précaution. Que pourra-t-on en dire ? Comment les données issues de ces annexes pourront-elles être articulées avec d’autres évaluations utilisées dans le débat public ? En bref, comment les utiliser à bon escient ? Ce billet ouvre la discussion. 

  • 31/10/2025 Tribune
    « 5 milliards d’euros en moins : l’État saborde la transition écologique des territoires »

    La France n’atteindra pas ses objectifs climatiques sans une action puissante des collectivités, passant notamment par une accélération de leurs investissements de décarbonation, préviennent Jean-François Debat, président délégué de « Villes de France », et François Thomazeau, directeur de programme à l’Institut de l’Economie pour le Climat/I4CE.

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