Panorama des financements climat des collectivités locales
Un panorama complet et actuel des enjeux de financement de la transition bas-carbone à l’échelle locale
Les collectivités territoriales ont un rôle majeur à jouer pour l’atteinte des objectifs de neutralité carbone de la France à 2050, inscrits dans la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC). Du fait de leur patrimoine et de leurs compétences, elles doivent porter de nombreux investissements climat, mettre en place des stratégies et plans d’action, et déployer des actions d’animation des acteurs de leur territoire.
Si les leviers pour décarboner les territoires sont de mieux en mieux connus, le volet économique de l’action en faveur du climat à l’échelle locale reste quant à lui relativement inexploré : les communes, intercommunalités, départements et régions, à supposer qu’ils le veuillent, sont-ils en capacité d’investir à hauteur des besoins tels qu’ils découlent des documents de planification écologique de l’État lui-même ?
Dans la continuité de travaux antérieurs, cette étude vient dresser un paysage d’ensemble des enjeux économiques et budgétaires du financement de l’action climatique des collectivités locales. Ce faisant, elle cherche à alimenter plusieurs débats actuellement en mouvement :
- celui du financement de la transition bas-carbone, bien sûr, et de la répartition de l’effort entre acteurs publics et privés, et, au sein du secteur public, entre État et les administrations locales ;
- celui du pilotage national des finances locales, qui dorénavant, à l’image de celui de l’ensemble des comptes publics, doit tenir compte de façon systématique de l’urgence climatique et de ses impacts budgétaires ;
- celui de la nature du dialogue État/Collectivités et de son évolution, notamment dans le cadre de la « territorialisation de la planification écologique » entamée depuis quelques mois, et à laquelle il manque encore un volet financement.
Cette étude a vocation à être actualisée dans le temps, complétée et enrichie dans des versions ultérieures. D’autres enjeux de transition sont aujourd’hui mieux documentés et pourraient venir compléter la lecture des besoins, en particulier pour ce qui concerne l’adaptation de la France aux impacts du changement climatique. Certains sujets sont encore insuffisamment explorés ou documentés, comme l’impact de la transition sur les dépenses et recettes de fonctionnement des collectivités. Enfin, le périmètre de l’étude reste celui de la France métropolitaine, qui exclut de facto les collectivités d’outre-mer.
Les collectivités accélèrent leurs investissements favorables au climat, mais doivent plus que les doubler pour s’aligner avec les objectifs de la planification écologique
Les investissements des collectivités locales en faveur du climat dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’énergie ont atteint 8,3 Md€ en 2022. Ils sont en augmentation : + 44 % depuis 2017 (en € courants). D’après les dernières données disponibles, ils ont continué d’augmenter en 2023 pour atteindre 10 Md€. Cette évolution provient notamment de l’augmentation des investissements des collectivités dans la mobilité électrique (véhicules et infrastructures de recharge), dans les transports collectifs – ferroviaire et transports en commun urbains – et pour la rénovation énergétique de leurs bâtiments.
Cette dynamique à la hausse doit être nuancée par un effet prix important, qui a notamment concerné le secteur des bâtiments et des travaux publics ces dernières années. De plus, cet effort doit fortement s’accélérer pour être à la hauteur des objectifs climat de la France.
Les besoins d’investissement des collectivités en faveur du climat dans les secteurs du bâtiment, des transports et de l’énergie sont estimés à 11 Md€ d’investissements supplémentaires par an et en moyenne d’ici à 2030 par rapport à 2022. Ces besoins sont en majorité liés à la décarbonation du patrimoine et des équipements des collectivités locales, ainsi qu’au financement des infrastructures de transport. Ils constituent un minimum car ils n’incluent pas l’ensemble des secteurs de la planification écologique, ni les possibles dépenses de fonctionnement nécessaires à la mise en œuvre des politiques climatiques locales.
Le premier poste des besoins d’investissement estimés dans la présente étude concerne le développement des infrastructures de report modal (+ 4,0 Md€ par an), c’est-à-dire les infrastructures de transport en commun, ferroviaires, fluviales mais aussi les aménagements cyclables. Le second poste est celui de la rénovation énergétique des bâtiments publics des collectivités locales (+ 3,2 Md€ par an). Les besoins d’investissement concernent également le développement de la mobilité électrique (+ 1,8 Md€ par an), à travers l’achat de véhicules électriques pour décarboner les flottes des collectivités et le déploiement d’infrastructures de recharge dans les territoires. Le quatrième poste est celui de l’énergie, à travers la modernisation de l’éclairage public et le développement des réseaux de chaleur (+ 1,2 Md€ par an). Enfin, les collectivités vont probablement être amenées à augmenter fortement leurs financements pour la rénovation énergétique des logements sociaux (+ 600 M€ par an).
La nécessité d’accélérer les investissements en faveur du climat concerne tous les échelons de collectivités. En cohérence avec son poids dans l’investissement public local, le bloc communal, composé des communes, intercommunalités et syndicats, porte à lui seul près de deux tiers de l’effort d’investissement, soit 7 Md€ supplémentaires par an en moyenne d’ici à 2030. Bien qu’ils portent moins d’investissement en propre, la marche à franchir pour les départements est conséquente : leurs besoins sont estimés à plus de 2 Md€ supplémentaires par an, soit plus qu’un triplement par rapport à 2022. Ils concernent notamment la décarbonation de leur patrimoine et de leurs équipements (bâtiments et véhicules), ainsi que le développement du réseau cyclable sur leur voirie. Enfin, les besoins des régions sont également estimés à près de 2 Md€ supplémentaires par an d’ici à 2030, soit un quasi doublement par rapport à leur niveau de 2022 (+80 %). Cet effort est avant tout dirigé vers la décarbonation de leur patrimoine et le transport ferroviaire. À noter que les financements croisés des collectivités, en particulier ceux des régions et des départements pour financer les investissements du bloc communal, ne sont pas pris en compte dans cette estimation.
Franchir le mur des investissements locaux pour le climat implique une nouvelle équation économique dans le financement de l’action publique locale
L’augmentation des investissements dédiés à l’atténuation du changement climatique s’inscrit dans un paysage plus large, celui de l’action publique locale et de son financement. L’enjeu de cette étude est donc aussi de mettre en résonance les besoins identifiés pour la neutralité carbone avec une évaluation prospective par échelon des capacités de financement des collectivités telles qu’elles ressortent de leurs comptes à fin 2023. Quatre leviers ont été analysés à travers quatre scénarios contrastés et volontairement théoriques. L’ensemble de ces leviers doit être mobilisé simultanément à travers une action commune de l’État et des collectivités :
1 – Les collectivités locales doivent dès aujourd’hui accélérer la redirection de leurs investissements, à travers des arbitrages politiques et budgétaires en faveur du climat et au détriment d’autres équipements. Le montant des investissements redirigés vers le climat atteint 7 Md€ par an dans le scénario « Redirection ». Une dynamique de réorientation des choix politiques est déjà à l’œuvre au sein des collectivités, mais doit s’amplifier : entre 2017 et 2023 les investissements climat sont passés de 9,5 % à 13 % des dépenses d’équipement totales.
2 – Le recours accru à l’emprunt pour financer les investissements en faveur du climat est également un levier incontournable. L’encours de dette des collectivités augmente à horizon 2030 dans toutes nos hypothèses. La mobilisation de ce levier de financement nécessite un alignement d’action entre les collectivités (choix d’emprunter quand elles le peuvent), l’État (signaux favorables) et les institutions financières (disponibilité du crédit).
3 – Les ressources propres, principalement liées à la fiscalité locale, aux tarifs et aux cessions d’immobilisation doivent être mobilisées plus fortement pour financer les investissements en faveur du climat. Leur potentiel est cependant difficile à estimer à l’échelle nationale, ces leviers n’étant pas mobilisables de la même manière par l’ensemble des collectivités : il dépend fortement des contextes économiques et politiques locaux. Leur mobilisation soulève par ailleurs des questions d’équité du financement de la transition par les contribuables et usagers locaux, d’acceptabilité, et d’articulation avec d’autres objectifs environnementaux (ex. : l’objectif zéro artificialisation nette – ZAN).
4 – Le soutien de l’État par les dotations doit être rendu plus stable et prévisible dans le temps. La création du « Fonds Vert » puis son augmentation ont envoyé un signal positif au monde local sur la priorité donnée aux projets contribuant favorablement à des politiques climatiques. Il appartient maintenant à l’État de stabiliser cet instrument dans un contexte d’incertitudes, et de le rendre plus efficace et prévisible pour les décideurs locaux.
La responsabilité de l’État : poser un cadre crédible à l’échelle nationale, et le décliner territorialement
Le contexte politique et budgétaire rend incertaines les décisions qui pourraient être prises dans les semaines et mois à venir dans le cadre du projet de loi de finances de l’État. L’enjeu concernant l’action publique locale est double : ne pas brouiller le signal envoyé aux acteurs locaux en faveur de la transition à travers la création du Fonds Vert par des coupes budgétaires aux conséquences mal évaluées ; maintenir un contexte favorable à un investissement local dynamique.
Le cadre offert par la loi de programmation des finances publiques 2023-2027 (LPFP) et le programme de stabilité (PSTAB) d’avril 2024 apparaît selon notre analyse incompatible avec une accélération des investissements locaux à la hauteur des besoins identifiés. Ces documents postulent un désendettement rapide des collectivités grâce à un net ralentissement de leurs dépenses de fonctionnement et une baisse de leurs dépenses d’investissement les prochaines années. Dès lors, les trajectoires de finances locales qui en résultent sont incompatibles avec les besoins d’investissements climat aujourd’hui avancés par I4CE et d’autres travaux similaires, sauf à imaginer une reprise en main rapide de l’État sur les choix locaux, avec un impact majeur sur la quantité et la qualité de services publics offerts à la population hors de la sphère « climat ». Une nouvelle trajectoire de finances locales doit donc être définie, dans le dialogue avec les acteurs locaux, plus crédible et bâtie en cohérence avec la stratégie pluriannuelle de financement de la transition écologique, dont l’adoption est prévue pour cet automne.
La déclinaison territoriale de la planification écologique, engagée depuis 2022, offre un cadre pour renouveler le dialogue budgétaire État / collectivités. L’étude pointe des disparités territoriales très fortes dans la capacité à mobiliser les différents leviers de financement à disposition des collectivités : c’est dans l’analyse de chaque territoire, chacun selon ses besoins, et chacun selon ses capacités, que l’équation économique pourra être posée afin d’établir dans la durée l’accélération de l’action climatique locale.
Une annexe méthodologique sera ajoutée courant septembre.