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Au moins 50 Mds €/an d’investissements publics à adapter

15 septembre 2022 - Billet d'analyse - Par : Dr. Vivian DEPOUES / Guillaume DOLQUES

Combien de milliards d’euros sont investis chaque année sans tenir compte de l’adaptation ? Vivian Dépoues et Guillaume Dolques ont passé en revue les différents programmes d’investissement publics et ont identifié au moins 50 milliards d’euros par an qui pourraient être très directement concernés par les conséquences du changement climatique, sans que l’on sache si elles sont bien anticipées. Pour garantir que tous ces investissements intègrent bien l’adaptation, ils appellent à progresser vers une forme de « labellisation adaptation » des investissements publics.

 

 

Des dizaines de grands programmes d’investissement qui n’intègrent pas le changement climatique

 

Ce ne sont pas les élèves de première qui ont eu à rédiger leur épreuve de français du bac par 40°C en juin dernier qui diront le contraire : construire en 2022 des lycées sans se demander s’il est possible d’y travailler lorsque le thermomètre grimpe n’est plus raisonnable. Et pour cause, avec le changement climatique, les vagues de chaleur plus précoces, plus longues, plus intenses ne resteront pas des exceptions. Pourtant, investir sans tenir compte des évolutions en cours du climat reste très courant et pas uniquement dans des bâtiments scolaires.

 

Combien de milliards d’euros sont investis chaque année sans tenir compte de l’adaptation ? On ne peut pas le dire car le sujet n’est malheureusement pas suivi de manière systématique. De premiers programmes importants – comme Action Cœur de Ville de la Banque des Territoires ou le Nouveau Programme de Rénovation Urbaine de l’ANRU – commencent à s’en saisir et c’est une excellente nouvelle. Néanmoins nos travaux nous laissent penser que l’adaptation est loin d’être un enjeu systématiquement et entièrement pris en compte dans tous les domaines d’investissement concernés.

 

En balayant les différents programmes d’investissement publics, nous avons identifiés au moins 50 Md€/an de flux qui pourraient être très directement concernés par les conséquences du changement climatique sans que l’on sache exactement si ces conséquences sont bien anticipées. Il s’agit notamment des grands programmes de modernisation des infrastructures de transport ou d’énergie ; des politiques de cohésion des territoires ; des grands projets d’aménagement ; des politiques de rénovation des bâtiments et des grands programmes qui façonneront l’économie française de demain comme le Plan France 2030 ou politique agricole.

 

Ces investissements sont portés directement par l’État mais aussi par les collectivités locales ou des opérateurs comme la Banque des Territoires, les gestionnaires d’infrastructures ou les bailleurs sociaux.

 

 

Voir le tableau des grands programmes d’investissement

 

 

Tenir compte des évolutions du climat dans ces investissements est une question d’utilisation efficace de l’argent public

 

Oublier l’adaptation dans ces grandes décisions d’investissement pourrait avoir des conséquences très lourdes pour la sécurité des populations et pour l’économie. Construire des logements ou des espaces urbains sans tenir compte des températures estivales peut par exemple poser de graves problèmes de santé publique lors de canicules. Concevoir des infrastructures de transports qui ne résisteront pas à de futurs évènements météorologiques fragilise les chaines logistiques essentielles pour l’économie. Soutenir le développement de filières agricoles ou touristiques sans s’assurer de leur adaptation revient à préparer les crises sociales de demain – quand faute d’eau ou de neige des pans entiers de l’économie seront sinistrés.

 

Ne pas poser la question du climat futur, c’est aussi prendre le risque de devoir investir à nouveau bien plus tôt que prévu pour corriger les choses. Or, compte-tenu des sommes en jeu, il est permis de douter que l’on pourra se permettre d’investir deux fois ; par exemple de renouveler à nouveau les peuplements de parcelles forestières quand les essences plantées aujourd’hui se révèleront trop vulnérables et seront victimes d’incendies ou de ravageurs. A l’inverse, intégrer l’adaptation dès la conception des programmes (on peut parler d’adaptation « by-design ») ne représente le plus souvent qu’un surcoût limité – inférieur à 5 % par exemple pour la modernisation des infrastructures de transport. En y étant attentif dès maintenant, il serait donc possible pour un surcoût minime de garantir que l’on investit des dizaines de milliards par an dans une économie qui se prépare au nouveau contexte climatique. C’est peut-être même le principal levier d’adaptation que nous avons à notre portée.

 

Un processus à inventer

 

Pour garantir que tous les prochains investissements intègrent bien l’adaptation, une démarche particulière reste à inventer.

 

La première étape d’une telle démarche est de faire de la contribution des programmes d’investissement à l’adaptation un de leurs objectifs explicites pour que les opérateurs qui les portent puissent piloter et évaluer l’efficacité de leur action à cet aune.

 

L’étape suivante est de traduire opérationnellement cet objectif en critères précis au sein des cahiers des charges de ces programmes. Pour cela les conditions et les indicateurs adéquats devront être façonnés sujet par sujet (par exemple des températures de confort à ne pas dépasser même dans des périodes plus chaudes que celles déjà connues, des quantités maximales d’eau consommée, des marges de sécurité à prévoir face à des évènements météorologiques imprévu ou de garanties de flexibilité dans la conception des équipements). Dans tous les cas il sera nécessaire de faire référence explicitement aux projections de climat futurs fournies par Météo France.

 

Il est également indispensable de veiller à ce que les compétences techniques et les moyens humains nécessaires sont bien mobilisés pour veiller à l’intégration effective de cette préoccupation dans les projets financés. En effet, ce sujet restant relativement nouveau et les réponses étant le plus souvent locales et propres à chaque contexte, l’adaptation demande avant tout du temps et de « l’intelligence » mise dans les projets.

 

Un dispositif de « labellisation » des investissements pourrait être imaginé pour s’assurer que plus 1€ d’investissement public n’est réalisé sans se poser la question de sa pertinence en climat futur. Un tel dispositif aurait pour objectif de formaliser cette démarche – que l’on pourrait comparer à un processus qualité – en certifiant les investissements analysés au prisme de l’adaptation :

 

 

 

L’ouverture des débats budgétaires de l’automne est un moment opportun pour mettre ce sujet à l’agenda. L’examen du Projet de Loi de finances est en effet l’occasion de discuter des grandes priorités d’investissement et de faire le point sur l’avancée des programmes déjà engagés et les moyens dont disposent les opérateurs qui les portent. Nous invitons donc toutes les partie-prenantes à ces programmes et en particulier les parlementaires à explorer dès maintenant les meilleures manières de garantir une meilleure prise en compte de l’adaptation au changement climatique.

 

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