Climat : où sont les économies budgétaires ?

1 juin 2023 - Billet d'analyse - Par : Damien DEMAILLY

Comment le gouvernement entend-il financer la hausse de ses dépenses publiques pour le climat ? Suite aux réactions du gouvernement au rapport Pisani-Ferry qui proposait d’utiliser toutes les options dont l’endettement et la hausse des prélèvements obligatoires, faisons une hypothèse : et si le gouvernement misait uniquement sur les options d’économies budgétaires ? Damien Demailly d’I4CE fait une revue des options à disposition du gouvernement pour financer ainsi la transition. Évidemment, toutes sont difficiles à mettre en œuvre et certaines peuvent s’avérer contre-productives. Elles méritent néanmoins d’être explicitées et débattues. L’ensemble des options pour financer la transition méritent de l’être.

 

Le rapport de Jean Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz a fait l’actualité la semaine dernière. Il a estimé à 66 milliards les investissements publics et privés supplémentaires à réaliser d’ici 2030 en faveur du climat. Et en a déduit les dépenses publiques supplémentaires à consacrer à la transition climatique de la part de l’État et, on les oublie trop souvent, des collectivités : un peu moins de la moitié des investissements, soit une trentaine de milliards.

 

S’il a fait l’actualité, c’est aussi beaucoup – et surtout – car il a proposé de financer ces dépenses publiques en ayant recours aux trois options à disposition du gouvernement : les économies budgétaires, l’endettement, et la hausse des prélèvements obligatoires avec notamment la proposition choc d’une hausse temporaire des prélèvements sur le patrimoine financier des plus fortunés. Les membres du gouvernement ont réagi, avec quelques dissonances et nuances. Et avec une tendance qui se dégage : l’accent est mis, exclusivement pour certains, sur les économies budgétaires.

 

Prenons cela comme hypothèse de travail : misons uniquement sur les économies budgétaires. Où faire des économies pour financer la transition, dès 2024 avec la prochaine loi de finances, et à plus long terme dans le cadre de la planification écologique ? Nous passons en revue, sans prétendre à l’exhaustivité, différentes options de mise en œuvre des économies budgétaires, pas tant pour chiffrer les économies possibles que pour identifier les défis que le gouvernement a devant lui.

 

Où faire des économies ? Les suspects habituels

La première option est de demander à tous les ministères de réaliser des économies. C’est ce qu’a fait la Première ministre : elle leur a demandé 5% d’économies sur leurs budgets hors masse salariale afin de dégager 7 milliards par an pour la transition. Le gouvernement peut-il réaliser ces économies ? Dès 2024 ? Cette question dépasse largement notre champ d’expertise. Notons juste que le chiffre est significatif par rapport au besoin mais qu’il reste à voir quelle part le gouvernement consacrera, en définitive, à la transition. Car le climat n’est pas le seul candidat à vouloir être financé par ces économies, le président ayant par exemple annoncé une baisse d’impôts pour la classe moyenne.

 

Deuxième option, la réforme des dépenses fiscales défavorables au climat. Réforme qui, il faut quand même le dire, revient à augmenter les taxes énergétiques pour les secteurs économique qui bénéficient d’exonérations et donc à augmenter les prélèvements. Le coût de ces niches est estimé par le gouvernement à plus de 7 milliards d’euros par an. Véritable marronnier de la vie politique, cette réforme reste néanmoins une bonne idée que le gouvernement doit et annonce vouloir relancer. Elle sera politiquement ardue néanmoins. Elle prendra du temps, le temps de la négociation avec les filières économiques concernées et parfois avec nos partenaires européens. Et rapportera surement moins qu’espéré car, pour augmenter les taxes énergétique de ces filières, il faudra les aider à déployer des alternatives, ce qui reviendra peut-être même plus cher à court terme pour les finances publiques. On attend de voir quelles économies le gouvernement peut réaliser dès 2024 et après.

 

À ces deux options souvent évoquées il faut en ajouter d’autres qui, toutes, consistent à essayer de faire la transition avec moins d’argent public. Autrement dit, des options qui reviennent à débattre de l’estimation des dépenses publiques du rapport Pisani. Elle est, après tout, là pour ça. Ces options sont moins sur le devant de la scène que celles évoquées jusque-là, mais elles agitent néanmoins la techno-structure. Elles méritent donc d’être explicitées.

 

Faire la transition climatique avec moins d’argent public, c’est possible ?

Tout d’abord, pour faire la transition tout en essayant d’y consacrer moins d’argent public, le gouvernement peut globalement privilégier le levier de la réglementation et celui de la fiscalité pour déclencher des investissements privés, et ainsi miser moins sur le levier de la dépense publique. Mais ces leviers sont-ils en tout point substituables ? Quand on met une interdiction, une obligation, une taxe, il faut l’accompagner. Dit autrement : quand l’État oblige, l’État s’oblige. Il s’oblige à offrir des alternatives. Trouver l’équilibre entre le bâton et la carotte est un exercice subtil, comme le gouvernement a pu l’apprendre avec le mouvement des gilets jaunes.

 

Une autre option est de donner la priorité à certaines technologies, certains secteurs, de les décarboner avant les autres, et ainsi séquencer dans le temps l’effort de dépense publique. De manière plus ou moins explicite et assumée, un gouvernement sous contrainte budgétaire priorise nécessairement. C’est compréhensible, mais c’est plus difficile qu’il n’y paraît si on ne veut pas rater la neutralité carbone en 2050. Commencer par le moins cher est le plus intuitif, et pourtant c’est une simplification potentiellement dangereuse (cf. « Du bon usage du coût d’abattement pour piloter la transition »). Quand on rénove un appartement, la peinture coûte en général moins cher que l’électricité, ce n’est pas une raison pour commencer par la peinture. 

 

Et pourquoi pas prioriser les dépenses publiques vers ceux qui en ont le plus besoin ? Prenons l’exemple des voitures électriques. Certains ménages aisés ont déjà sauté le pas en en achetant une et, bientôt, il ne sera plus possible d’acheter un véhicule thermique neuf. Les ménages aisés qui ne sont pas encore passés à la mobilité électrique seront obligés de le faire. Ont-ils besoin d’être aidés ? Ne pourrait-on pas réduire encore voire supprimer les aides à ces ménages, ceux des trois derniers déciles de revenu par exemple ? Un ISF climatique à l’envers en quelque sorte : au lieu de taxer les plus aisés pour financer la transition, on leur donne moins d’argent. Et on finance avec les économies réalisées la transition des classes moyennes et modestes.

 

Cette option mérite d’être explorée, et elle l’est certainement déjà dans les ministères, aussi bien pour les subventions que pour les investissements publics, pour les ménages que pour les collectivités et les entreprises. Mais avant même de chiffrer les économies possibles, le gouvernement doit d’abord se poser plusieurs questions. La réglementation et la fiscalité seront-elles suffisantes pour que les ménages aisés fassent, quand même, leur transition ? S’il faut renforcer ces leviers, peut-on cibler même indirectement les ménages aisés ? Réduire les aides aux ménages aisés affaiblira-t-il le soutien politique aux aides à la transition ? Pas facile.

 

Toutes les options pour financer la transition méritent d’être explorées

Il y a encore d’autres options possibles pour tenter de faire la transition avec moins de dépenses publiques, et toutes sont difficiles. Remplacer partout où c’est possible les subventions par des mécanismes de tiers-financement ? Le gouvernement tente déjà de le faire, avec notamment le leasing social de véhicule électrique à 100€ par mois. Le test est en cours. Faire payer davantage les collectivités ? La négociation s’annonce ardue et, si cela permet de baisser les dépenses publiques de l’État, cela ne change rien aux dépenses publiques totales…

 

Toutes ces options sont difficiles, comme l’est cette dernière : renforcer l’efficacité des dispositifs de soutien public, s’assurer que chaque euro dépensé soit utile à la transition. Il y a en effet de nombreuses critiques sur l’efficacité de dispositifs tels que MaPrimeRenov’ ou les Certificats d’économie d’énergie, des critiques qui durent depuis longtemps et auxquelles on peine pourtant à répondre concrètement. Il y en a aussi sur l’efficacité des grands programmes d’aides publiques aux entreprises. Effet d’aubaine, captation des aides par les plus influents, mauvaise gouvernance… La dépense publique est un levier de politique publique qui a, comme la fiscalité et la réglementation, de nombreux défauts. Le gouvernement ne doit pas s’y résigner et veiller à l’efficacité des dépenses publiques. Mais, une fois de plus, ce n’est pas un long fleuve tranquille.

Pour aller plus loin
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  • 24/04/2024 Billet d'analyse
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    La volonté du gouvernement de réduire rapidement le déficit public, sans augmentation d’impôts et donc en réduisant fortement la dépense publique, a fait une première victime : le budget de l’aide MaPrimeRénov’ accordée aux ménages pour la rénovation énergétique de leurs logements. Le marché de la rénovation globale étant encore peu structuré, notamment en matière d’accompagnement, l’État prévoit ne pas consommer l’enveloppe budgétaire actée en loi de finances et l’entérine dès ce début d’année. Mais la question de la dépense publique reviendra très vite sur la table, plusieurs rapports pointant un besoin de financements publics en forte hausse d’ici 2030. La bonne nouvelle est que le gouvernement peut espérer modérer ce besoin en mobilisant davantage les financements privés. La mauvaise est que pour cela il doit utiliser d’autres leviers de politique publique dont la mise en œuvre ne sera pas une mince affaire.

  • 03/04/2024 Tribune
    Comptes publics : n’écartons aucune option

    Pour redresser les comptes publics et assurer la planification écologique, le directeur de l’Institut de l’économie pour le climat, Benoît Leguet, estime que l’exécutif peut activer cinq leviers. « Nous avons mis en place une stratégie unique, pionnière, jamais mise en place dans un grand pays industriel : la planification écologique. Domaine par domaine, nous nous sommes fixé des objectifs et nous nous donnons les moyens de les atteindre. Notre feuille de route est claire : baisser de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. ». Ces mots sont de Gabriel Attal, le 28 mars, au Muséum d’histoire naturelle.

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