Exclure les ménages aisés du CITE : une réforme judicieuse ?

4 novembre 2019 - Billet d'analyse - Par : Maxime LEDEZ

Le Crédit d’impôt pour la transition énergétique (CITE) fait l’objet d’un projet de réforme en cette fin d’année.  Le sort des ménages les plus aisés, qui réalisent près de la moitié des travaux financés, est en question. Maxime Ledez, qui a travaillé à la récente publication du Panorama des investissements climat en France, revient ici sur l’impact que cette réforme pourrait avoir sur les investissements de ces ménages.

 

Le CITE constitue l’un des principaux outils de financement de la rénovation énergétique des logements. Il permet aux ménages de se faire rembourser une partie du coût des travaux d’isolation (fenêtres et parois dites opaques, i.e. toit, combles, murs et planchers) et d’installation d’équipements (pompes à chaleur, chaudières performantes, etc.)

 

Cette aide publique n’aura pas le même visage l’année prochaine. Au-delà de sa transformation en prime, ce sont les 20% des ménages aux revenus les plus élevés qui sont visés par la réforme. Après que le gouvernement ait initialement prévu de les exclure, des députés – craignant que ces ménages cessent d’entreprendre des travaux – ont déposé plusieurs amendements pour qu’ils restent éligibles. Le 22 octobre, les députés ont finalement adopté la première partie du projet de loi de finances 2020 qui prévoit la réintégration de ces ménages dans le dispositif, mais seulement pour les opérations d’isolation des parois opaques.

 

Faut-il s’inquiéter de cette réforme ? Quelle place réserver aux ménages aisés dans ce dispositif ? Les recherches récentes sur le sujet apportent des éléments de réponse à ces questions.

 

La majorité des ménages aisés auraient entrepris des travaux sans crédit d’impôt

Sans crédit d’impôt, les ménages les plus aisés risquent d’investir un peu moins dans des travaux de rénovation énergétique dans leurs logements, mais ne vont pas arrêter d’effectuer de tels travaux. En effet, la majorité des ménages qui bénéficient aujourd’hui du CITE – surtout des ménages aisés – déclarent qu’ils auraient entrepris des travaux, même en l’absence de crédit d’impôt. C’est ce que suggèrent deux enquêtes récentes, qui cherchent à mesurer l’effet de ce dispositif auprès d’un grand ensemble de ménages ayant rénové leur logement.

 

Dans l’enquête Phébus, 57% des ménages interrogés répondent qu’ils auraient entrepris les mêmes travaux si le crédit d’impôt n’existait pas, contre seulement 11% qui n’auraient pas effectué de travaux. Ce constat est renforcé par les résultats de l’enquête TREMI menée par l’ADEME. Les opportunités de financement (dont les aides publiques) n’arrivent qu’en troisième position des motivations à rénover, pour 23% des ménages. C’est le dysfonctionnement d’un des équipements qui constitue le premier facteur déclencheur des travaux, rapporté par 33% des ménages ayant effectué des rénovations énergétiquement performantes.

 

Les facteurs déclencheurs de la rénovation énergétique performante, d’après l’ADEME (Enquête TREMI, 2017)

 

 

 

Cela étant, la raison d’être du CITE n’est pas uniquement de déclencher des travaux. Il permet également d’orienter les ménages vers des solutions plus performantes. Mais là encore, l’enquête Phébus est instructive : seuls 11% des ménages déclarent qu’ils auraient entrepris des travaux moins ambitieux sans le crédit d’impôt.

 

La seule décision pour laquelle le crédit d’impôt apparaît déterminante est celle de recourir à un artisan qualifié (mention RGE). Nous verrons plus loin que cette conséquence du dispositif est loin d’être anodine lorsqu’on s’attaque au chantier des rénovations globales.

 

L’exclusion des ménages les plus aisés pourrait inciter les artisans à revoir leurs prix à la baisse

Tel qu’il est conçu aujourd’hui, le CITE encourage certains artisans à augmenter leurs prix. En effet, puisque l’aide est attribuée au prorata du coût de l’équipement, et que les artisans ne sont pas toujours mis en concurrence, ils ont parfois intérêt à surestimer le coût de la fourniture, tout en visant un prix qui ne dépasse pas les plafonds de remboursement. Cet effet malencontreux est relevé dans une étude d’Enertech pour l’ADEME sur les coûts de la rénovation énergétique. L’IGF et le CGEDD font également part de leurs soupçons d’une hausse des prix de certains équipements.

 

L’exclusion des ménages les plus aisés du dispositif pourrait donc obliger les professionnels du bâtiment à revoir à la baisse les prix des équipements vendus, pour continuer à capter l’important marché des travaux entrepris par ces ménages.

 

Garder les ménages aisés dans le CITE pour les rénovations globales ?

Le CITE oriente majoritairement les ménages vers des gestes de rénovation éparses : ils changent leurs fenêtres, leur chaudière ou isolent les combles, mais font rarement tout cela ensemble. Dit autrement, ils ne font pas de rénovation dite « globale » permettant d’atteindre un niveau de consommation énergétique très performant, du type « Bâtiment basse consommation » (BBC). Un amendement prévoyait de garder les ménages aisés dans le dispositif pour de telles rénovations globales.

 

Si cet amendement a finalement été rejeté, l’idée mérite d’être creusée. Elle nous rapprocherait en effet davantage de l’objectif d’un parc « bâtiment basse consommation » en 2050, et pourrait inciter les artisans du bâtiment à proposer des services coordonnés pour des rénovations globales. Elle nécessiterait toutefois d’être complétée: une formation accrue des professionnels du bâtiment sur les économies d’énergies et la certification des résultats obtenus après travaux sont deux conditions à la réussite de cette modalité d’attribution des aides.

 

Les ménages aisés sont aussi des propriétaires bailleurs : ils possèdent une part importante des logements à rénover

Les ménages les plus aisés sont non seulement concernés par les logements qu’ils occupent, mais aussi par les logements qu’ils mettent en location. 60% des logements locatifs privés appartiennent aux propriétaires bailleurs les plus aisés. Parmi ces logements se trouvent de nombreuses passoires énergétiques, que le projet de Stratégie Nationale Bas-Carbone prévoit de faire disparaitre d’ici 2025. Et selon les travaux du CIRED, cet objectif ne pourra pas être atteint avec les politiques actuelles.

 

Le gouvernement a annoncé que le CITE serait étendu aux propriétaires bailleurs en 2021. Une affaire à suivre, car le seul recours au crédit d’impôt pourrait se révéler insuffisant. En effet, les propriétaires bailleurs ne perçoivent pas le bénéfice à engager des travaux chez leurs locataires : ils ne paient pas les factures d’énergie, et la « valeur verte » des logements reste anecdotique dans les zones où la demande de logements est la plus forte. L’obligation de rénovation des passoires énergétiques fait craindre une pénurie de logements. Aussi, la loi énergie-climat adoptée en septembre ne l’a introduite qu’à l’horizon 2028. Une date qui semble bien lointaine pour éliminer les passoires énergétiques d’ici 2025…

 

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Maxime LEDEZ
Chercheur – Panorama des financements climat, Bâtiment Email
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