Planification écologique de l’agriculture : regarder par-dessus la haie

« L’agriculture c’est compliqué ». C’est ce que répondait le Ministre Christophe Béchu lors de la première étape de son tour de France de l’écologie en Bretagne fin septembre, face à un public venu comprendre l’heuristique de la planification écologique annoncée quelques jours plus tôt par le président de la République. Si le projet de loi de finances 2024 propose bien des premières mesures de planification écologique, il laisse de côté les thématiques clés de l’élevage et des habitudes alimentaires. Au-delà du budget de l’État, la planification écologique « à la française » doit mieux se coordonner avec les autres politiques nationales et européennes, et surtout avec la Politique agricole commune (PAC). 

 

Un embryon de planification écologique dans le PLF 2024 agricole

Le PLF 2024 pour le ministère de l’Agriculture rend explicite la planification écologique, avec une toute nouvelle action éponyme. Celle-ci prévoit 385 M€ pour 2024 (crédits de paiement, ou CP) sur différents volets de la transition agricole, et certaines mesures bénéficient de financements de long terme (autorisations d’engagement, ou AE) importants, comme le développement des haies (45 M€ de CP et 110 M€ d’AE), le plan protéines (65 M€ de CP et 100 M€ d’AE), le fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions (25 M€ de CP et 200 M€ d’AE), et la stratégie de réduction de l’utilisation des produits phytosanitaires (150 M€ de CP et 250 M€ d’AE). Il s’agit d’une réelle avancée en comparaison de l’exercice 2023.

 

 

La mesure haie n’est pas la mieux dotée, mais certainement la plus médiatisée et la plus consensuelle à première vue. La haie recule inexorablement (perte de 23 500 km/an entre la période 2017 et 2021), malgré les replantations et une PAC censée mieux la protéger comme le rappelait un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux – CGAAER – sorti au printemps. Le Ministre a choisi de faire de la haie le levier de la planification écologique de l’agriculture : elle contribue en effet à l’amélioration de la biodiversité, à la protection de la ressource en eau, peut fournir un complément de revenu grâce à la production de biomasse, et permet de stocker du carbone. 

 

Mais des mesures en deçà des objectifs de planification du SGPE

S’il faut saluer cette réhabilitation du sujet dans les politiques publiques nationales, il faut aussi pouvoir regarder

« par-dessus la haie » pour donner de l’ambition à la trajectoire de planification agroécologique. Or force est de constater que les mesures proposées dans le PLF 2024 ne semblent pas à la hauteur des premiers éléments de planification écologique présentés par le Secrétariat général à la planification écologique – SGPE – en juillet dernier. Celui-ci prévoyait un partage de l’effort de décarbonation depuis la production agricole jusqu’aux modes de consommation alimentaire. 

 

Le PLF 2024 y répond en partie avec ses mesures haies, plan protéines, diagnostic carbone (20 M€ de CP et 32 M€ d’AE) et décarbonation de l’agriculture (80 M€ de CP et d’AE). Il y répond également en prévoyant la réduction progressive de l’exonération de taxe sur le gazole à usage agricole, mais les compensations fiscales prévues ne sont pas spécifiquement fléchées au profit de la décarbonation des engins agricoles. Certaines mesures restent encore floues et mériteraient d’être détaillées, comme le fonds en faveur de la souveraineté alimentaire et des transitions. Enfin, on ne retrouve pas dans le PLF l’amélioration du stockage de carbone dans les sols par des pratiques agroécologiques, ni surtout, la diminution des émissions de l’élevage et de la consommation de produits animaux. Deux éléments pourtant cruciaux pour l’atteinte des objectifs climat du secteur agricole.

 

Pourquoi l’élevage et la consommation alimentaire semblent avoir été écartés de la planification écologique dans sa version PLF 2024 ? Car ces deux sujets sont hautement inflammables, comme en témoignent les crispations provoquées par le dernier rapport de la Cour des comptes dans le milieu de l’élevage et d’une grande partie de la classe politique. À en juger par les dernières allocutions du ministre de l’Agriculture au salon de l’élevage, le choix serait d’enrayer le déclin de l’élevage avant de l’embarquer dans la transition écologique. 

 

Reconquérir une souveraineté alimentaire sur les protéines suppose de confronter l’accompagnement de la baisse tendancielle des cheptels à la nécessaire évolution des régimes alimentaires. Aujourd’hui ce qui détériore la souveraineté de l’élevage en France, c’est le résultat d’une production en baisse, une consommation stable et des importations en hausse. Le sens de la transition est ici de planifier pour cesser de subir.

 

Mieux aligner et coordonner la planification écologique avec le PLOA, la SNANC et le PSN 

D’une certaine manière, la planification agricole continue d’esquiver des enjeux lourds pour la décarbonation et le financement de la transition écologique. Le Pacte et la loi d’orientation agricole (PLOA) ainsi que la Stratégie nationale alimentation nutrition climat (SNANC) devraient être l’occasion de clarifier le cap, notamment sur l’avenir et de l’élevage et du contenu de nos assiettes. Espérons que les débats parlementaires leur donnent cette portée.

 

Le Plan stratégique national de la PAC en France – le PSN pour les initiés – dispose déjà d’une programmation financière pluriannuelle 2023-2027 de plus de 45 Mds €, soit plus de 8 Mds € chaque année. Près du tiers peut être pleinement mobilisé dans l’accompagnement de la décarbonation et de la transition agroécologique en compléments des budgets nationaux. Cela requiert des efforts supplémentaires d’alignement, d’articulation et de coordination pour viser une intervention publique efficace et optimale en direction des agriculteurs, des consommateurs, des filières et des territoires. 

Pour aller plus loin
  • 17/05/2023
    Agriculture : la stratégie du consom’acteur atteint ses limites

    Il n’y aura pas d’agriculture durable ni de bonne santé nutritionnelle sans changement des régimes alimentaires. C’est à la fois une certitude et un défi d’ampleur. Or, la stratégie implicite ou explicite des décideurs publics français pour mener à bien cette transition alimentaire repose sur le pari du consommateur responsable, ou « consom’acteur », et cette stratégie ne produit pas les résultats escomptés. On observe certes quelques évolutions positives, mais on ne peut que constater que la consommation de viande ne baisse plus depuis près de 10 ans ou que les recommandations nutritionnelles restent lettre morte. Alors même qu’une majorité de Français déclare avoir réduit sa consommation de viande. Et qu’une majorité encore plus écrasante estime ses pratiques alimentaires exemplaires du point de vue de l’environnement.

  • 02/12/2022
    La certification carbone européenne doit être exigeante… et attractive

    Comment différentier les projets qui permettent vraiment de stocker du carbone, des projets qui prétendent seulement le faire ? Question compliquée quand on s’intéresse à des projets dans l’agriculture et la forêt, pour lesquels la quantification du carbone stocké est complexe et se heurte au risque de non-permanence, et pour lesquels il faut aussi prendre en compte les autres défis environnementaux à commencer par la préservation de la biodiversité. Une question compliquée donc, mais une question qui nécessite une réponse ! Des acteurs privés et des pouvoirs publics veulent s’assurer que les projets agricoles et forestiers qu’ils financent au nom du climat ont un réel bénéfice environnemental.

  • 01/12/2022 Billet d'analyse
    Certification carbone : la Commission propose un cadre exigeant qui devra aussi être incitatif

    On y voit désormais plus clair sur le futur cadre de certification carbone européen, grâce à la proposition que la Commission vient de rendre publique. Cette proposition donne un cadre, de grands principes directeurs, et les détails seront précisés dès 2023 avec l’appui d’un groupe d’experts. Si le diable se cache dans les détails, le cadrage n’en est pas moins important. Claudine Foucherot d’[i4ce] l’a analysé et identifié quatre points sur lesquels il faudra être vigilant. De manière générale, on peut dire que la Commission fait une proposition ambitieuse qui présente cependant un risque : ne pas être suffisamment incitative pour permettre un déploiement massif des projets. 

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