Développer les usages du bois à longue durée de vie : regard sur les filières allemande, roumaine et suédoise

26 octobre 2023 - Étude Climat - Par : Océane LE PIERRÈS / Julia GRIMAULT / Valentin BELLASSEN

L’atteinte de la neutralité carbone passera par une orientation plus marquée de la récolte de bois vers les usages à longue durée de vie 

Pour atteindre la neutralité carbone, la France compte sur son puits de carbone pour absorber les émissions résiduelles en 2050. Un puits de carbone plus faible obligerait à réduire encore davantage les émissions des autres secteurs (transports, agriculture, industrie…), pour lesquels la France table sur une division par un facteur supérieur à six entre 1990 et 2050. Dans un contexte où le puits dans les écosystèmes décroît déjà fortement à cause d’une augmentation de la mortalité des arbres, préserver ce puits et développer celui dans les produits bois doit être une préoccupation majeure de la politique climatique nationale.  

 

L’un des principaux leviers pour maximiser le puits de carbone est d’optimiser l’usage du bois récolté, en orientant plus de bois vers des produits à longue durée de vie. Ce levier est un enjeu majeur du volet « puits de carbone » de la Stratégie Nationale Bas-Carbone française(*1). Les objectifs de réorientation du bois y sont très ambitieux(*1),(*2), mais si les chiffres finaux sont encore en débat, ce levier devra dans tous les cas être actionné si nous voulons atteindre nos objectifs en termes de puits de carbone.  

 

Pour y parvenir, il faut notamment développer trois gammes de produits, tous dans le secteur de la construction : le bois d’ingénierie(*3), les panneaux de structure dérivés du bois industrie(*3), et les isolants en bois. Ces produits sont les meilleures cibles car ils peuvent être conçus à partir de bois de mauvaise qualité ou de faible diamètre, aujourd’hui majoritairement utilisés pour des usages à courte durée de vie comme l’énergie et la pâte à papier. Reste à identifier et déployer les leviers politiques ou économiques pour développer ces produits : cette étude marque le début de ce travail.  

 

 

L’herbe est-elle plus verte chez les voisins ? À la recherche de bonnes pratiques en Allemagne, en Roumanie et en Suède 

Certains pays ont-ils une plus grande valorisation matière de leur bois, notamment en fabriquant des produits bois à longue durée de vie ? Le cas échéant, comment l’expliquer ? Pour répondre à ces questions, nous avons cherché des pays européens qui parvenaient à dédier une part plus importante de leur récolte aux produits bois à longue durée de vie, en comparaison à la France. L’Allemagne, la Roumanie et la Suède ont été retenus, chacun pour des raisons différentes. L’Allemagne a été sélectionnée principalement car la balance entre la valorisation matière et énergétique y penche plus vers le matériau qu’en France, et que sa production de panneaux est très forte. La Roumanie a été sélectionnée en raison de la proportion de bois récolté servant de matériau malgré l’importante part de feuillus dans sa récolte(*4), à l’inverse de la France où les feuillus dominent également la récolte mais où la proportion de bois énergie est majoritaire. Quant à la Suède, sa capacité à valoriser la quasi-totalité de sa récolte comme matériau plutôt que combustible et l’importance des constructions en bois ont justifié sa sélection.  

 

Pour chaque pays, l’étude est déclinée en deux parties :  

 

  1. Un état des lieux des usages du bois dans le pays concerné, qui vise à déterminer sur quels segments de la filière il se démarque de la France en tirant proportionnellement plus de produits bois à longue durée de vie des ressources disponibles. La récolte de bois est documentée, avec un focus sur l’utilisation des bois feuillus3, de faible qualité et / ou diamètre, et des ressources dites ‘secondaires’ (coproduits de la transformation du bois, bois recyclé), susceptibles d’être réorientés vers des produits bois à longue durée de vie ; 
  2. Une analyse des facteurs qui peuvent expliquer les performances identifiées dans la première partie et une discussion de leur reproductibilité en France. Plus d’une cinquantaine de références bibliographiques et les dires d’une vingtaine d’experts de ces pays sont à la base de cette analyse. 

 

 

Les principales leçons retenues pour la France 

De ces comparaisons, nous retenons trois principaux leviers inspirants pour la France.  

 

1. Subventionner les usages longs 

Tout d’abord, on peut améliorer la compétitivité des produits bois ciblés par rapport aux matériaux de construction concurrents. L’Allemagne a ainsi subventionné l’usage d’isolants biosourcés (y compris à base de bois) à hauteur de la moitié du surcoût de leur surcoût initial. Elle a obtenu de la Commission européenne une dérogation pour accorder cette aide d’État, au titre de l’intérêt environnemental. Durant les vingt ans qui ont suivi la mise en œuvre de cette subvention, le volume d’isolants biosourcés transitant sur le marché allemand a été multiplié par 50. Et le coût pour les finances publiques est resté modéré : les économies d’échelles réalisées par les fabricants d’isolants biosourcés ont permis d’arrêter la subvention tout en maintenant leur production.  

 

Dans le cas de la Suède, pour accompagner le développement de la construction bois sur le marché des immeubles, le gouvernement a mis en œuvre un programme de soutien public basé sur des investissements spécifiques pour renforcer la compétitivité du bois, tout en s’appuyant sur la forte collaboration des secteurs de la recherche et de l’industrie. Cette stratégie a porté ses fruits, puisque la part de marché du bois pour ce secteur est passée de 0 à 20 % en l’espace de 30 ans. Ce cas démontre toutefois que même dans un pays où la construction bois est monnaie courante (la plupart des maisons y ont une ossature bois), où l’industrie du bois est très développée, et où une politique ad hoc fut mise en place, le marché mit du temps à évoluer. Cela donne une idée de l’ampleur des efforts à mettre en œuvre pour faire évoluer les usages du bois en France, où l’industrie est moins développée, et la ressource forestière plus diversifiée et moins adaptée aux usages industriels actuels que dans des pays comme l’Allemagne et la Suède. 

 

2. Assumer la priorisation des usages du bois dans les politiques publiques

Ensuite, on peut réduire la concurrence avec d’autres usages de la même ressource, comme le bois énergie(*3) ou le papier. À un niveau de récolte constant, la croissance de l’un de ces secteurs ou de celui des panneaux sera néfaste pour les autres secteurs en générant une tension sur l’approvisionnement en bois. En Roumanie, le secteur papetier est inexistant tandis que celui des panneaux est important. En Suède, l’efficacité des réseaux de chaleur réduit l’usage énergétique du bois récolté, même si c’est au bénéfice du papier plutôt que des panneaux. En Allemagne, les énergéticiens emploient du bois recyclé et les panneautiers du bois brut, alors qu’en France ce sont les énergéticiens qui ont la capacité de payer le bois brut et les panneautiers qui se sont repliés sur le bois recyclé, moins onéreux. Au-delà du type de ressource employé, ce dernier cas montre l’impact de choix politiques différents, l’un orienté vers l’industrie et ayant favorisé l’essor de la production de panneaux, et l’autre orienté vers l’énergie. Ces trois exemples illustrent la relation à flux tendus unissant ces usages concurrents sur la même ressource : l’accaparement même partiel des ressources par l’un ou l’autre de ces usages impacte les autres usages.  

 

Soutenir ces trois secteurs est possible en augmentant le niveau de récolte, mais en réduisant le puits de carbone en forêt. En France, la stratégie est d’augmenter le niveau de récolte tout en réduisant la proportion de bois dédiée aux usages les plus courts. Pour autant, la politique française de forte subvention du bois énergie, y compris à partir de ressources primaires, place sans doute la France dans une situation moins favorable que les trois pays étudiés en termes de disponibilité des bois de faible diamètre et qualité pour les usages longs. Si notre étude n’a pas permis d’identifier des politiques efficaces de hiérarchisation les trois exemples ci-dessus illustrent le besoin d’arbitrage et plaident en faveur d’une priorisation assumée de certains usages. 

 

3. Ne pas oublier l’ameublement pour dynamiser l’offre en produits semi-finis

Enfin, l’existence de débouchés est bien évidemment un élément structurant. Concernant l’industrie panneautière, son rythme de production la rend tributaire de sa capacité à écouler ses stocks. Le manque de débouchés pour les panneaux peut être un frein au bon fonctionnement des usines ; leur assurer des débouchés est donc un impératif pour accroître fortement la production. L’absence de débouchés pour le bois d’ingénierie de feuillus en Allemagne s’est révélé limitant pour le développement de ce produit semi-fini par la scierie Pollmeier par exemple. Là encore, notre étude n’identifie pas de politique efficace pour créer ces débouchés, à l’exception de la subvention allemande (voir leçon n°1). Toutefois, nous constatons que le débouché « ameublement » est friand de panneaux en Allemagne et en Roumanie, et de bois d’ingénierie en Roumanie. En France aussi le secteur de l’ameublement consomme des panneaux, mais une partie des meubles et des panneaux consommés pour la production sont importés. Si l’ameublement est un usage moins durable que ceux dans la construction et la rénovation des bâtiments, il peut aider à massifier la production de ces produits, aussi utilisables en construction. 

 

Le rapport ci-après détaille ces trois principales leçons, ainsi que d’autres résultats inspirants. Par exemple, l’étude de l’Allemagne et de la Roumanie a révélé des modèles industriels différents du nôtre. L’intégration verticale des scieurs et des panneautiers sur les mêmes sites en Allemagne est l’un des facteurs de leur compétitivité. De même, le développement du bois d’ingénierie à destination de l’ameublement en Roumanie est un phénomène prometteur, pour l’instant sans équivalent français.  

 

 


*1 : I4CE. Grimault, J., Tronquet, C., Bellassen, V., Bonvillain, T., Foucherot, C., 2022. « Puits de carbone : l’ambition de la France est-elle réaliste ? »  

 

*2 I4CE. Le Pierrès, O., Grimault, J., Bellassen, V., 2022. « Réorienter les usages du bois pour améliorer le puits de carbone : sur quels produits miser en priorité ? »

 

*3 : Voir l’encadré

 

*4 : Comme représenté sur la Figure 3 (cf. rapport) le Portugal a également une part de feuillus très importante. La Roumanie lui a été préférée en raison des essences qui composent sa récolte (principalement du Hêtre et du Chêne) qui sont similaires à celles récoltées en France, tandis qu’au Portugal l’Eucalyptus et le Chêne-liège arrivent en tête parmi les feuillus récoltés.

 

Pour plus d’informations sur les types de bois et leurs principaux usages en France, nous vous invitons à consulter notre rapport Réorienter les usages du bois pour améliorer le puits de carbone : sur quels produits miser en priorité ? (2022)

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Contacts I4CE
Océane LE PIERRÈS
Océane LE PIERRÈS
Chargée de recherche – Filière forêt-bois, Usages du bois Email
Julia GRIMAULT
Julia GRIMAULT
Responsable d'unité – Forêt, Bois, Certification carbone Email
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