D’où viennent les cinq nouveaux scénarios du GIEC ?

14 septembre 2021 - Billet d'analyse - Par : Charlotte VAILLES

Les scénarios du GIEC sont constamment cités lorsqu’on s’intéresse au climat et à son évolution, mais parfois à tort et à travers, et souvent sans compréhension fine de ce qu’ils impliquent. A l’occasion de la sortie du dernier rapport du GIEC, dans lequel cinq nouveaux scénarios ont fait leur apparition, Charlotte Vailles d’I4CE vous explique comment ils ont été construits et quelles informations sont disponibles à leur sujet.

 

 

Les nouveaux scénarios du GIEC explorent un large éventail de futurs plausibles à horizon 2100

Dans son dernier rapport, le premier groupe de travail du GIEC ne se limite pas à reconstituer les changements climatiques passés et à observer ceux qui se déroulent aujourd’hui. De manière cruciale, il explore aussi les futurs possibles. Les cinq nouveaux scénarios utilisés dans ce rapport présentent les possibles évolutions du climat tout au long du XXIe siècle en fonction des émissions de gaz à effet de serre (GES) et donc de l’évolution des sociétés humaines. L’utilisation de scénarios – qui sont des représentations plausibles d’un futur incertain- permet d’explorer différentes évolutions possibles des sociétés humaines et leur implication pour le climat. Le but de ces scénarios n’est pas de prédire l’avenir – aucune probabilité n’est associée aux différents scénarios – mais de prendre en compte l’incertitude liée aux futures activités humaines et d’éclairer les décisions des Etats et plus largement des sociétés. 

 

Ces cinq scénarios couvrent un large éventail de futurs plausibles pour les émissions de GES – allant d’un scénario dans lequel les émissions de CO2 diminuent drastiquement pour atteindre la neutralité carbone vers 2050 et sont négatives dans la deuxième moitié du siècle (SSP1-1.9) à un scénario dans lequel les émissions de CO2 continuent d’augmenter fortement jusqu’à être deux fois supérieures aux niveaux actuels en 2050 et plus de trois fois supérieures en 2100 (SSP5-8.5) (cf. Figure 1).

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

 

Ces scénarios ont été construits à partir d’évolutions plausibles des sociétés sur le XXIsiècle

A l’origine des cinq scénarios, on trouve les trajectoires socio-économiques de référence – les SSP, pour « Shared Socioeconomic Pathways » – mises au point par la communauté scientifique afin de créer un cadre de réflexion commun sur les enjeux liés aux changements climatiques.  Cinq narratifs décrivant les évolutions sociales, économiques, politiques et technologiques possibles d’ici la fin du siècle ont été développés (cf. Table 1). Ces cinq narratifs ont été utilisés pour modéliser différents scénarios d’évolution des systèmes économique, énergétique et d’utilisation des sols. Certains de ces scénarios ont été contraints par l’atteinte d’un objectif climatique (on les nomme alors « scénarios de transition »), alors que d’autres ne l’ont pas été (ce sont les « scénarios de référence »). Ce travail de scénarisation a été porté par la communauté scientifique du troisième groupe de travail du GIEC, qui évalue les solutions pour atténuer les changements climatiques. A noter que la trajectoire socio-économique peut être plus ou moins favorable à l’atteinte des objectifs climatiques, comme indiqué dans les deux colonnes de droite : par exemple la limitation du réchauffement climatique à 1,5°C ou 2°C est très difficile voire impossible dans un contexte de rivalités régionales et d’inégalités décrit par le SSP3.

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Les trajectoires d’émissions de GES, d’aérosols et d’utilisation des sols résultant de ces scénarios ont ensuite été retravaillées par la communauté scientifique pour les harmoniser et les compléter par d’autres jeux de données – en particulier un maillage géographique des émissions. Au total, neuf scénarios d’émissions ont été obtenus – représentant des évolutions cohérentes et distinctes des sociétés humaines.

 

Ces scénarios sont identifiés par un nom de la forme SSPx-y, où SSPx est la trajectoire socio-économique de référence utilisée pour modéliser ce scénario et y le niveau approximatif de forçage radiatif résultant du scénario en 2100.

 

Cinq scénarios démarqués les uns des autres ont été choisis pour être évalués plus précisément dans ce rapport :

 

  • SSP1-1.9 : scénario très ambitieux pour représenter l’objectif 1,5°C de l’Accord de Paris
  • SSP1-2.6 : scénario de développement durable
  • SSP2-4.5 : scénario intermédiaire
  • SSP3-7.0 : scénario de rivalités régionales
  • SSP5-8.5 : développement basé sur les énergies fossiles

 

 

Le rapport d’évaluation du 1er groupe de travail du GIEC détaille les évolutions du climat pour chacun de ces cinq scénarios à l’échelle mondiale ainsi qu’à une échelle régionale

Ces cinq scénarios d’émissions ont été utilisés en entrée de modèles climatiques – qui sont des formulations mathématiques des lois naturelles qui régissent l’évolution des systèmes liés au climat : atmosphère, océan, cryosphère, terre, biosphère, cycle du carbone. Ces modèles permettent de simuler l’évolution future du climat en fonction d’une trajectoire donnée d’émissions de GES.  Les modèles utilisés pour ce sixième rapport d’évaluation permettent de représenter de manière plus fine certains processus physiques, chimiques et biologiques que les modèles précédemment utilisés.

 

Le rapport du 1er groupe de travail du GIEC détaille l’évolution du système climatique tout au long du XXIe siècle pour chacun de ces cinq scénarios illustratifs. L’évolution du système climatique est décrite par un très large ensemble de variables climatiques, telles que les températures, les vents, les précipitations.

 

Le rapport décrit l’évolution moyenne des variables climatiques dans chacun des scénarios, comme par exemple l’augmentation de la température de surface – comprise entre 1,4°C et plus de 4,5°C dans les différents scénarios à horizon 2100 (voir Figure 2). Il expose également l’évolution des événements extrêmes – tels que la fréquence et l’intensité des vagues de chaleur, des sécheresses, des pluies torrentielles, des cyclones… Sont aussi décrites les évolutions de la cryosphère et des océans – avec par exemple des informations sur la fonte des banquises, du permafrost, des glaciers ou encore la montée du niveau des mers et l’acidification de l’océan dans les différents scénarios.

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Ces évolutions sont décrites à l’échelle mondiale, mais aussi à un niveau régional. Ce nouveau rapport est d’ailleurs accompagné d’un atlas interactif en ligne permettant d’explorer l’évolution de nombreuses variables climatiques observées ou simulées suivant les scénarios, à différents horizons de temps et échelles géographiques. Cette information régionalisée est d’autant plus exploitable par les décideurs publics comme privés pour appréhender de manière concrète les changements climatiques auxquels ils sont confrontés.

 

 

Ces scénarios sont plus précis que les scénarios précédemment utilisés par le GIEC et explorent des trajectoires différentes sur le XXIe siècle

Le précédent rapport d’évaluation du GIEC se basait sur d’autres scénarios, les RCP – pour Representative Concentration Pathways. Les RCP sont des trajectoires d’évolution des émissions et des concentrations des gaz à effet de serre et des aérosols, nommés selon le forçage radiatif qu’ils atteignent à horizon 2100. Au nombre de cinq, ils avaient été développés pour former un ensemble représentatif des multiples trajectoires d’émissions de GES des scénarios existants dans la littérature. Les RCP étaient précédemment utilisés comme entrée pour les modèles climatiques.

 

Les nouveaux scénarios SSP se différencient des RCP par plusieurs aspects : tout d’abord, ils offrent un niveau de précision et de détail beaucoup plus important pour les données d’entrée des modèles climatiques. Ensuite, ils permettent d’explorer des combinaisons qui n’étaient pas couvertes par les RCP, comme par exemple la conjonction de faibles efforts d’atténuation et de faible limitation de la pollution atmosphérique – et donc des émissions d’aérosols (à présent étudiée dans le SSP3-7.0).

 

Les RCP et les SSP sont tous deux identifiés par le niveau de forçage radiatif approximatif atteint en 2100, mais ne sont pas directement comparables pour un même forçage radiatif. La répartition des émissions au cours du temps, ainsi que la répartition des émissions entre les différents GES et aérosols diffèrent. Par exemple, le SSP5-8.5 a des concentrations en CO2 plus importantes que le RCP 8.5, mais des concentrations en méthane plus faibles. Autre exemple, les scénarios SSP ambitieux décrivent un pic des émissions plus tardif que dans les RCP ambitieux : en effet, les émissions réelles n’ont pour l’instant pas suivi la trajectoire des scénarios ambitieux.

 

Les RCP sont cités dans ce rapport : sur certains sujets – comme par exemple la montée du niveau des mers ou encore les projections à l’échelle régionale, la littérature scientifique utilise encore largement des résultats de modélisation basés sur les RCP.

 

 

Les résultats des cinq scénarios appellent à une action immédiate pour l’adaptation et l’atténuation

Les conclusions de ce rapport ne laissent aucune excuse pour retarder l’action pour l’adaptation et l’atténuation. En effet, dans tous les scénarios envisagés, le réchauffement dépasse la barre des 1,5°C dans les vingt prochaines années. Des efforts immédiats sont donc requis pour l’adaptation et ce rapport nous aide à identifier les changements climatiques inévitables pour mieux nous y préparer.

 

Dans le présent rapport, le GIEC nous rappelle aussi que l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C sur le long terme n’est pas perdu, via le scénario SSP1-1.9 dans lequel le réchauffement est limité à 1,4°C à la fin du siècle après avoir temporairement dépassé 1,5°C. Cela nécessite cependant de prendre des décisions drastiques et immédiates pour l’atténuation.

 

Ces informations seront complétées par les rapports à paraître : les impacts des changements climatiques sur les sociétés humaines et les solutions à mettre en œuvre pour limiter le réchauffement climatique seront évalués en détail respectivement dans les rapports des deuxième et troisième groupes de travail, à paraître en 2022.

 

A la veille de la COP26, ce premier rapport envoie déjà un message clair aux décideurs sur l’importance de réduire nos émissions plus drastiquement que jamais afin de saisir la dernière chance de limiter le réchauffement sous la barre des 1,5°C, mais aussi sur le besoin de s’atteler dès maintenant à l’adaptation aux impacts du changement climatique.

 

Pour mieux comprendre ces différents termes – scénario de transition, scénario de référence, modèle climatique, SSP, RCP, … – n’hésitez pas à (re)lire la publication « Comprendre les scénarios de transition – huit étapes pour lire et interpréter ces scénarios », qui explique notamment les concepts-clefs autour des scénarios liés au climat, présente les grandes familles de scénarios et les questions auxquelles ces scénarios permettent de répondre !

Pour aller plus loin
  • 03/03/2023
    Réforme de la Banque mondiale : bientôt un nouveau pilote à bord

    Après la démission soudaine mi-février de David Malpass, le président de la Banque mondiale choisi par Donald Trump, Washington a de nouveau surpris le monde jeudi dernier en proposant de nommer Ajay Banga, longtemps PDG de Mastercard, comme son successeur. Non seulement l’annonce a été très rapide, mais le profil controversé du candidat a également suscité une certaine perplexité. Son expérience limitée tant dans les projets d’aide publique au développement que dans la contribution à la lutte contre le changement climatique a alimenté une grande partie du scepticisme. Sa connaissance du secteur privé dans les pays du Nord et du Sud a cependant su rassurer. 

  • 02/03/2023
    Soutenir les institutions financières de pays en développement dans leur démarche d’alignement avec les objectifs climatiques

    Comment maximiser l’impact des institutions financières internationales ? Vous trouvez un exemple dans ce rapport écrit en partenariat avec NewClimate Institute, et qui présente des recommandations à destination des institutions financières internationales pour soutenir l’alignement de leurs institutions financières partenaires, dans les pays en développement, avec les objectifs de l’Accord de Paris. Et plus largement pour contribuer à la transformation des systèmes financiers locaux.  

  • 20/01/2023
    Financement du développement : les bonnes résolutions de 2023

    L’année 2022 a abouti à un consensus important : l’architecture financière mondiale n’est plus adaptée aux enjeux actuels. L’écosystème financier créé après-guerre pour soutenir le développement international (au centre duquel se trouvent le FMI et la Banque mondiale) n’a pas été conçu pour répondre à la multiplicité des crises auxquelles le monde est confronté aujourd’hui, au premier rang desquelles le dérèglement climatique. Le temps presse mais la bonne nouvelle est que l’année 2023 sera jalonnée d’évènements importants pour mener à bien la réforme de l’architecture financière internationale, dont le sommet de Paris en juin. Et l’année se terminera à la COP 28, où nous ferons officiellement le bilan des progrès réalisés pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Voir toutes les publications
Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
Inscrivez-vous à notre liste de diffusion :
Je m'inscris !
Inscrivez-vous à notre newsletter
Une fois par semaine, recevez toute l’information de l’économie pour le climat.
Je m'inscris !
Fermer