Publications Financement public

France : 18 Mds € pour les énergies fossiles depuis le début de la crise

15 juillet 2020 - Billet d'analyse - Par : Dr. Louise KESSLER

Un consortium international de 14 Think Tanks dont I4CE a lancé le site « Energy Policy Tracker », afin de suivre les aides publiques adoptées depuis le début de la crise par les pays du G20 et qui auront un impact sur le climat. Il en ressort que jusqu’à aujourd’hui, beaucoup plus d’aides ont été accordées par ces pays aux énergies fossiles qu’aux énergies propres. Et en France ? Louise Kessler, directrice du Programme Economie d’I4CE, revient sur les aides déjà adoptées en France ainsi que sur celles qui en sont encore au stade d’annonce.

 

18 Mds € pour des secteurs fortement consommateurs d’énergies fossiles, avec des contreparties environnementales encore peu précises

Depuis le début de la pandémie, au moins 21,1 milliards € d’aides ont été adoptées – ou sont en passe de l’être dans le cadre de la 3ème loi de finances rectificative – en faveur de secteurs fortement émetteurs de gaz à effet de serre ou au contraire indispensables à la réduction de ces émissions. Ceci n’inclut pas le plan de 20 milliards d’euros à destination de la transition écologique annoncé par le Premier Ministre le 15 juillet 2020.

 

La grande majorité de ces aides concerne des secteurs fortement consommateurs d’énergies fossiles. C’est notamment le cas des 7 milliards € de prêts garantis par l’État et d’avances sur trésorerie pour Air France-KLM, des 5 milliards € de prêts garantis par l’État pour Renault ainsi que d’autres mesures de soutien à l’automobile (dont la prime à la conversion à laquelle certains véhicules thermiques sont éligibles), ou encore du report de la suppression de l’avantage fiscal sur le gazole non routier.

 

Au total, les mesures de soutien aux secteurs fortement émetteurs atteignent 17,8 milliards €. Près de 75% de ces aides prennent la forme de prêts garantis ou d’avances sur trésorerie.

 

Ces aides permettent certes de maintenir des entreprises et de sauvegarder des emplois, mais elles contribuent également à pérenniser des modèles économiques qui ne sont pas compatibles avec les engagements de la France en termes de neutralité carbone. La bonne nouvelle est que la France se démarque des autres pays du G20 en ayant conditionné une grande partie de ces aides à des réductions d’émissions de la part des secteurs concernés. Sur ces 17,8 milliards €, 13,8 milliards € sont ainsi conditionnés à des contreparties environnementales. La mauvaise nouvelle est que ces contreparties demeurent vagues : elles ne font pas l’objet d’engagements contraignants ni, pour la plupart, détaillés. A titre illustratif, le plan de sauvetage d’Air France-KLM inclut la réduction de ses vols domestiques sur les trajets où une alternative ferroviaire existe, mais des objectifs précis de réduction des vols régionaux n’ont pas encore été publiés.

 

Seulement 3 Mds € d’aides pour les secteurs de la transition énergétique

Des mesures de soutien direct à la transition énergétique ont également été prises par la France, pour un montant total évalué à 3,3 milliards €. Celles-ci couvrent le renforcement du bonus écologique pour les véhicules électriques ou hybrides rechargeables, un soutien financier à l’usine pilote de fabrication de batteries électriques, un plan vélo, le soutien à la R&D du secteur aéronautique ainsi qu’une augmentation de la dotation de soutien à l’investissement local orientée vers les domaines de la transition énergétique et de la santé.

 

Contrairement aux aides apportées aux secteurs fortement consommateurs d’énergies fossiles, les mesures de soutien à la transition énergétique sont uniquement basées sur des investissements directs et des subventions.

 

A ces 3 milliards € s’ajoutent dorénavant les 20 milliards € annoncés par Jean Castex lors de son discours de politique générale devant l’Assemblée Nationale.

 

Tableau : Mesures de relance ayant un impact direct sur les émissions de gaz à effet de serre

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Mise à jour du tableau le 15/07/2020 

 

Notes :

  • Les chiffres avec une astérisque sont basés sur des estimations réalisées par I4CE.
  • Les chiffres entre parenthèses indiquent des recettes pour l’État.
  • Un tableau plus détaillé est disponible ici.
  • Ce tableau ne recense que les mesures de soutien à des secteurs fortement émetteurs ou à des secteurs clés de la transition énergétique. Il ne prend pas en compte les autres plans de relance sectoriels qui peuvent avoir un impact indirect sur les émissions.

 

 

Un point d’inflexion vers une relance compatible avec les objectifs de neutralité carbone ?

Les mesures adoptées jusque-là ont paré au plus urgent : le maintien de l’emploi et la reprise de l’activité économique. Elles ont surtout bénéficié à des secteurs fortement émetteurs parce qu’ils représentent des bassins d’emploi significatifs. De même, on peut imaginer que si les contreparties environnementales n’ont pas été plus détaillées, c’est parce que ces plans de soutien ont été négociés dans l’urgence.

 

Désormais, le premier défi est de rendre effectives les éco-conditionnalités : cela implique la prise d’engagements précis par les entreprises concernées, ainsi que leur évaluation et leur suivi dans le temps. Surtout, l’examen des mesures adoptées met en évidence le fait que de nombreux secteurs clés de la transition bas-carbone n’ont pas encore fait l’objet d’engagements financiers : ceci concerne la rénovation des bâtiments, le transport ferroviaire et les transports en commun urbain ou encore la chaleur et le gaz renouvelable. Le second défi sera donc de pallier ce déficit d’investissement pour le climat. D’après I4CE, une impulsion publique supplémentaire de 9 milliards € par an en 2020 et 2021 est nécessaire pour mettre la France sur la trajectoire de la Stratégie nationale bas carbone et atteindre la neutralité carbone en 2050.

 

Le gouvernement semble avoir pris conscience de ce défi et de nouvelles mesures ont déjà été annoncées. Le président de la République a évoqué récemment une enveloppe supplémentaire de 15 milliards € sur deux ans pour la « conversion écologique » et la ministre de la Transition écologique un plan de relance pour le ferroviaire. La ministre du Logement a, quant à elle, annoncé plusieurs milliards d’euros pour la rénovation énergétique des bâtiments, et celui des Transports avait déjà promis l’accélération du déploiement des bornes de recharge pour véhicules électriques il y a plusieurs semaines. L’annonce faite par Jean Castex dans son discours de politique générale le 15 juillet 2020 d’un plan de 20 milliards d’euros pour la transition énergétique semble entériner la prise de conscience du gouvernement de la nécessité de soutenir les investissements dans les secteurs clés de la transition énergétique. Le détail des mesures n’a pas été fourni mais ces 20 milliards € devraient couvrir entre autres la rénovation thermique des bâtiments et la réduction des émissions dans le secteur des transports et de l’industrie, un plan vélo ambitieux ainsi qu’un soutien aux technologies vertes. Les tableaux ci-dessus seront régulièrement mis à jour afin de vous permettre de suivre les efforts financiers de la France pour combiner relance et climat.

 

Le président de la République s’est engagé à reprendre les mesures de la CCC dont certaines impliquent des efforts financiers conséquents

Par ailleurs, le président de la République s’est engagé à reprendre les mesures de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) dont certaines impliquent des efforts financiers conséquents de l’État sous forme d’investissements et de subventions. Certaines permettraient également de générer de nouvelles recettes fiscales : un malus automobile renforcé, le renforcement de l’éco-taxe sur les trajets en avion et une taxe de 4% sur les dividendes versés par les entreprises pourraient représenter, au total, près de 9 milliards € de recettes additionnelles par an à court terme. Cette dernière proposition d’une taxe sur les dividendes versés par les entreprises a d’ores et déjà été rejetée par le président de la République lors de son allocution devant les 150 citoyens.

 

La liste ci-dessous reprend les mesures proposées par la CCC qui auraient un impact non-négligeable sur les finances publiques (supérieur au milliard € chacune). Elle sera aussi mise à jour régulièrement en fonction des précisions, adoptions ou rejets des mesures de la CCC. Le chiffrage de ces propositions a été réalisée par I4CE.

 

Tableau : Suivi des annonces de la Convention Citoyenne pour le Climat ayant un impact significatif sur les finances publiques

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Cliquez sur ce bouton pour voir l’image

 

Mise à jour du tableau le 15/07/2020 

 

Notes :

  • Les chiffres avec une astérisque sont basés sur des estimations réalisées par I4CE.
  • Les chiffres entre parenthèses indiquent des recettes pour l’État.
  • Un tableau plus détaillé est disponible ici.
  • Ce tableau ne recense que les mesures de soutien à des secteurs fortement émetteurs ou à des secteurs clés de la transition énergétique. Il ne prend pas en compte les autres plans de relance sectoriels qui peuvent avoir un impact indirect sur les émissions.
Contacts I4CE
Dr. Louise KESSLER
Dr. Louise KESSLER
Directrice de programme – Outils de pilotage, Financement de la transition Email
Pour aller plus loin
  • 24/04/2024 Billet d'analyse
    Rénovation énergétique des logements : modérer le besoin de financements publics n’aura rien d’évident

    La volonté du gouvernement de réduire rapidement le déficit public, sans augmentation d’impôts et donc en réduisant fortement la dépense publique, a fait une première victime : le budget de l’aide MaPrimeRénov’ accordée aux ménages pour la rénovation énergétique de leurs logements. Le marché de la rénovation globale étant encore peu structuré, notamment en matière d’accompagnement, l’État prévoit ne pas consommer l’enveloppe budgétaire actée en loi de finances et l’entérine dès ce début d’année. Mais la question de la dépense publique reviendra très vite sur la table, plusieurs rapports pointant un besoin de financements publics en forte hausse d’ici 2030. La bonne nouvelle est que le gouvernement peut espérer modérer ce besoin en mobilisant davantage les financements privés. La mauvaise est que pour cela il doit utiliser d’autres leviers de politique publique dont la mise en œuvre ne sera pas une mince affaire.

  • 03/04/2024 Tribune
    Comptes publics : n’écartons aucune option

    Pour redresser les comptes publics et assurer la planification écologique, le directeur de l’Institut de l’économie pour le climat, Benoît Leguet, estime que l’exécutif peut activer cinq leviers. « Nous avons mis en place une stratégie unique, pionnière, jamais mise en place dans un grand pays industriel : la planification écologique. Domaine par domaine, nous nous sommes fixé des objectifs et nous nous donnons les moyens de les atteindre. Notre feuille de route est claire : baisser de 55 % nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. ». Ces mots sont de Gabriel Attal, le 28 mars, au Muséum d’histoire naturelle.

  • 01/03/2024
    Les aides de crise agricoles ne cessent d’augmenter et ce n’est satisfaisant pour personne

    I4CE s’est livré à un exercice inédit : estimer les soutiens publics au secteur agricole liées aux crises ces dix dernières années. Les dépenses publiques de prévention, surveillance et indemnisation totales ainsi agrégées donnent le vertige : plus de 2 milliards d’euros rien qu’en 2022 – pour indemniser les pertes occasionnées par plusieurs aléas sanitaires, climatiques et géopolitiques concomitants. 

Voir toutes les publications
Contact Presse Amélie FRITZ Responsable communication et relations presse Email
Inscrivez-vous à notre liste de diffusion :
Je m'inscris !
Inscrivez-vous à notre newsletter
Une fois par semaine, recevez toute l’information de l’économie pour le climat.
Je m'inscris !
Fermer