Les institutions financières publiques peuvent contribuer à une relance « juste et verte »

9 juillet 2020 - Billet d'analyse - Par : Dr. Ian COCHRAN / Alice PAUTHIER

Dans moins de cinq mois, la communauté de la finance du développement se réunira à Paris pour le sommet « Finance in Common » afin de discuter du rôle des institutions financières publiques (IFP) pour atteindre les objectifs climatiques et de développement durable – et de ce que le covid a changé. Les IFP s’engagent de plus en plus à soutenir à la fois les objectifs climatiques et une transition « juste » et elles jouent désormais un rôle central dans les réponses au covid mises en œuvre par les gouvernements. Ian Cochran et Alice Pauthier expliquent pourquoi, même dans le contexte actuel, les IFP doivent poursuivre l’alignement de leurs activités avec des objectifs climatiques et de développement durable – et pourquoi leurs progrès pourraient être essentiels pour garantir que la réponse à la crise soit à la fois « juste et verte ».

 

 

Les IFP sont des acteurs clés dans les situations de crise économique

Les institutions financières publiques – qu’il s’agisse de banques nationales de promotion économique ou de développement – ont pour mandat de soutenir le développement des économies et des sociétés. Souvent qualifiées d’institutions « contra-cycliques », les IFP jouent un rôle spécifique au sein du système financier : surmonter les obstacles et palier aux défaillances ponctuelles et structurelles du marché tout en ayant une perspective de long terme. Bien que leur champ d’activité varie, les IFP encouragent et réorientent les investissements par le biais d’une large gamme d’instruments financiers : prêts, fonds propres, subventions et garanties. D’autre part, les IFP aident les gouvernements à l’élaboration de politiques publiques en facilitant le dialogue entre parties prenantes, en soutenant l’élaboration de stratégies et de plans nationaux et en fournissant de l’assistance technique.

 

Les IFP sont donc des acteurs clés pour la mise en oeuvre d’interventions de court terme, comme l’exige la crise économique actuelle, mais aussi de plus long terme, comme dans le cas du changement climatique. Le défi consiste aujourd’hui à répondre aux priorités de court terme comme de long terme pour s’assurer que les IFP utilisent les outils à leur disposition pour financer et encourager les investissements dans des secteurs spécifiques, mais aussi pour aider les gouvernements à concevoir et à mettre en œuvre des réponses nationales « justes » et « vertes » après la crise.
 

 

Les IFP sont bien placées pour aider à mettre en place une réponse post-covid « compatible avec les objectifs climatiques ».

Depuis 2015, un nombre croissant d’IFP intègrent les considérations relatives au changement climatique dans leurs stratégies, programmes et opérations. En outre, un nombre croissant d’institutions financières de développement, en particulier les banques multilatérales de développement et les membres de l’International Development Finance Club (IDFC), se sont engagées à « aligner » toutes leurs activités avec les objectifs de l’Accord de Paris. Ainsi, en plus de faire le « minimum » et de prendre en compte les considérations liées au climat, ces institutions se sont engagées à faire en sorte que toutes leurs activités ne nuisent pas ou contribuent activement à la réalisation des objectifs climatiques à long terme.

 

L’opérationnalisation des approches d’alignement avec l’Accord de Paris devait être l’un des principaux défis à relever par les banques de développement en 2020.  Nombre de ces institutions collaborent désormais avec leurs pairs ou avec la communauté financière au sens large pour élaborer et comparer leurs approches sur les critères et métriques qui guideront leurs stratégies, l’analyse des contreparties et des transactions, la gestion proactive des risques climatiques et le soutien à la transition de l’économie au sens large. Ces mêmes approches pourraient, à leur tour, garantir que le soutien fourni dans le cadre des réponses post-covid mises en œuvre par les IFP prendra au minimum en compte les considérations climatiques.

 

Dans la pratique, les approches actuellement développées et testées par quelques-unes des principales IFP peuvent contribuer à garantir que les transactions destinées à soutenir la reprise a minima évitent le risque de « bloquer » de futurs stranded assets (actifs immobilisés) via des investissements dans des secteurs de l’économie qui fonctionnent aujourd’hui, mais qui ne font pas partie d’une économie bas carbone et résiliente pour demain. Bien que ces approches soient loin d’être parfaites aujourd’hui, elles peuvent néanmoins aider à prioriser les transactions qui ont le plus d’impact pour une transition rapide vers une économie bas carbone et résiliente, nécessaire dans le contexte actuel.

 

 

Une reprise « verte et juste » exigera que les gouvernements et les institutions financières privées restent fidèles à leurs engagements

Le sommet « Finance in Common » prévu début novembre à Paris vise à rassembler l’ensemble de la communauté des IFP et pourrait être l’occasion pour toutes les IFP de prendre ou de confirmer des engagements visant à intégrer les considérations climatiques dans toutes leurs opérations et à s’aligner avec les objectifs climatiques et de développement durable. Depuis le début de l’année, l’accent a été mis sur l’évolution de ce rôle dans le contexte de la crise économique provoquée par le covid.

 

Alors que les ONG et la société civile soulignent que le soutien des IFP pour les combustibles fossiles, entre autres, reste élevé, nous croyons fermement que le sommet est un moment clé pour que gouvernements et autres actionnaires des IFP les incitent à mettre l’accent sur le climat et le développement durable. Cela pourrait être une étape importante pour garantir que la réponse mondiale post-covid est compatible avec les objectifs climatiques – et n’augmente pas le risque que le monde plonge d’une crise à une autre.

 

Pour s’assurer que les IFP maintiennent le climat en haut de leur agenda, les gouvernements actionnaires, cadres dirigeants et équipes opérationnelles doivent agir et échanger sur leurs pratiques :

 

 

  • Deuxièmement, les gouvernements doivent, individuellement et collectivement, signaler clairement aux IFP qu’elles doivent respecter – et dans de nombreux cas renforcer – les engagements pris pour atteindre les objectifs en matière de climat et de développement durable. Bien que cela doive être fait dès aujourd’hui, le sommet « Finance in Common » de novembre sera un moment clé pour renforcer le mandat des IFP de tous types sur les questions de climat et de développement durable en général.

 

  • Troisièmement, les IFP devront à leur tour recevoir un signal clair de la part de la direction générale, indiquant que l’ambition en matière de climat et de développement durable reste une priorité. D’une part, les IFP doivent continuer à fixer des objectifs ambitieux en matière de climat et de durabilité – et intégrer ces considérations dans toutes leurs activités – y compris la conception et le décaissement de fonds de réponse post-covid. D’autre part, lorsque les IFP travaillent avec les gouvernements pour soutenir l’élaboration ou la mise en œuvre de plans post-covid, elles doivent s’assurer que les réponses sont alignées avec les objectifs climatiques et de développement durable et que les risques climatiques sont pris en compte.

 

  • Quatrièmement, les IFP doivent poursuivre leurs efforts pour développer, mettre en œuvre et améliorer leurs approches de gestion des risques climatiques et d’alignement avec les objectifs climatiques dans le but de favoriser une reprise verte et juste. La crise a provoqué une accélération d’un processus déjà compliqué et techniquement difficile : la conception d’approches individuelles mais également collectives, alors que différents groupes tels que les banques multilatérales de développement et les membres d’IDFC progressent dans le développement de taxonomies, de méthodologies et d’approches communes. Il sera essentiel de veiller à ce que cela se fasse de manière transparente.

 

  • Cinquièmement – et c’est peut-être le plus important – la collaboration et le partage d’expérience sont essentiels. Nombreux sont ceux qui peuvent tirer des enseignements des réflexions en cours au sein des IFP – y compris les gouvernements pour améliorer la manière dont le budget public global est piloté. Il est également important que les IFP partagent leur expérience et s’engagent avec la communauté financière commerciale, car des efforts conjoints seront la clé du succès. Bien que cela puisse être considéré comme un luxe pour des temps meilleurs, il est important que les institutions publiques et privées continuent à prendre le temps et à trouver les ressources nécessaires pour participer à des discussions entre pairs par le biais de plateformes et de forums tels que l’Initiative Climate Action in Financial Institutions ou UNEP FI, entre autres.

 

***

 

Aujourd’hui, alors que le monde continue à descendre dans le creux de la vague pandémique qui nous a submergés et que nous remontons lentement de l’autre côté, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour éviter qu’une crise climatique encore plus importante ne se profile à l’horizon. Bien que les IFP ne soient pas la seule solution, si celles-ci tiennent leurs engagements et répondent aux attentes croissantes, elles pourront peut-être contribuer à inverser la tendance et garantir une reprise bas carbone et résiliente pour tous.

 

À l’approche du sommet des Banques de développement, Alice Pauthier d’I4CE vous en explique, en deux minutes, les enjeux : qu’attendre de ce sommet, quel est le rôle de ces institutions financières publiques et quel impact pourraient-elles avoir dans un contexte de relance post-covid ? 

 

Pour aller plus loin
  • 08/03/2024
    Sortie des énergies fossiles : vers un rôle plus important pour les Banques de développement

    Il y a quelques mois, la COP28 appelait à accélérer les efforts  « pour la réduction progressive de la production d’électricité à base de charbon ». Limiter la hausse des températures à 1.5°C nécessite d’arrêter la construction de nouvelles centrales à charbon, c’est évident. Mais il faut aussi fermer les centrales existantes avant leur fin de vie, ce qui peut être plus difficile. Les banques publiques de développement (BPD) doivent contribuer à lever les barrières à la sortie du charbon et accompagner les pays dans leur transition vers des systèmes d’électricité décarbonés. Ces banques sont de plus en plus nombreuses à élaborer des stratégies pour accélérer la fermeture des centrales à charbon. Cependant, ces efforts peuvent présenter des risques. 

  • 07/03/2024
    Financer la sortie du charbon : le rôle des Banques publiques de développement dans le retrait anticipé des centrales à charbon

    Les banques publiques de développement peuvent faciliter la sortie du charbon et la transition vers des alternatives renouvelables dans les pays en développement et émergents, en favorisant les conditions propices au retrait anticipé et à la reconversion des centrales à charbon. Les défis associés à ce retrait anticipé ainsi que le rôle des banques publiques de développement lorsqu’elles interviennent auprès des gouvernements nationaux et des producteurs d’électricité nationaux et indépendants sont explorés dans cette publication, rédigée en collaboration avec NewClimate Institute. 

  • 07/03/2024
    Cocombustion, rétrofit et crédit carbone pour retrait : Considérations sur les risques liés à la sortie du charbon à destination des Banques publiques de développement

    Au vu de leur rôle dans le financement de production d’électricité à base de charbon par le passé et au vu de leur mandat, les banques publiques de développement ont un rôle crucial à jouer pour permettre la sortie du charbon. Co-écrit avec NewClimate Institute, ce court papier explore de nombreux risques associés aux propositions de technologies de réduction d’émissions et aux crédits carbone pour alimenter les discussions actuelles sur le retrait anticipé du charbon. 

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