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État des lieux des investissements climat en Europe

3 juin 2025 - Étude Climat - Par : Clara CALIPEL / Caroline HENRY / Anna CORNAGGIA

L’Union européenne face à un tournant : investir dans la décarbonation, l’autonomie stratégique et la compétitivité

L’Union européenne (UE) évolue dans un contexte géopolitique incertain. Dans ce cadre, ses priorités politiques se recentrent sur les enjeux de sécurité, d’autonomie stratégique et de compétitivité. Parallèlement, le maintien de son rôle de chef de file en matière de politique climatique est plus nécessaire que jamais. Ce contexte offre une fenêtre d’opportunité à l’UE : montrer la voie à la fois en matière d’action climat, de compétitivité industrielle et d’autonomie stratégique, à la condition que cette ambition soit accompagnée d’investissements à la hauteur des enjeux.

 

 

En 2023, les investissements climat dans l’UE ont atteint 498 milliards d’euros. Ce montant est nettement inférieur aux besoins estimés à 842 milliards d’euros par en an en moyenne pour atteindre les objectifs climat de l’UE à horizon 2030, soit un écart annuel de 344 milliards d’euros. Les premières projections pour 2024 indiquent une dynamique préoccupante dans plusieurs secteurs structurants, tels que l’énergie éolienne, la rénovation énergétique des bâtiments, ou les véhicules électriques. D’un autre côté, si les investissements dans la production de technologies propres progressent, les capacités de production de telles technologies dans l’UE restent inférieures à la demande, exposant ces nouveaux actifs à un risque de sous-utilisation. Alors que l’UE se réoriente vers la compétitivité et la résilience, ce rapport rappelle qu’en absence d’investissements suffisants, les politiques favorables à l’action climat ne porteront pas leurs fruits et que le coût d’un report des mesures ne fera qu’augmenter.

 

Rapport uniquement disponible en anglais

 

 

Investissements climat : une croissance inégale selon les secteurs en 2023 et un ralentissement global attendu en 2024

En 2023, les investissements climat dans l’UE ont atteint 498 milliards d’euros dans les secteurs de l’énergie, des bâtiments, des transports et de la production des technologies propres, soit 2,9 % du PIB de l’UE. Après plusieurs années de croissance soutenue, ce montant d’investissement représente une augmentation de 1,5 % par rapport à 2022, marquant un net ralentissement. Cette croissance modeste masque également des dynamiques contrastées selon les secteurs. Le principal facteur de ce ralentissement en 2023 réside dans la contraction des investissements liés à la construction de bâtiments neufs, dont nous comptabilisons ici les coûts liés à la performance énergétique. Le secteur du bâtiment a également été affecté par le repli de l’activité de rénovation énergétique des bâtiments déjà existants ainsi que par la baisse des ventes de pompes à chaleur. En revanche, les investissements dans les énergies renouvelables, sous l’impulsion de l’énergie solaire, et dans les réseaux électriques ont augmenté de 17 % en 2023. Le secteur des transports a également enregistré une hausse de 8 % des investissements, principalement grâce à l’adoption croissante des véhicules électriques à batterie. 

 

 

Les premières estimations pour l’année 2024 offrent une lecture plus nuancée de la dynamique d’investissement climat. Plusieurs secteurs clés devraient enregistrer un recul des investissements en 2024, notamment dans l’électricité renouvelable (-7,2 %), la rénovation énergétique des bâtiments (-6,3 %), les pompes à chaleur (-26,9 %) et les véhicules particuliers électriques à batterie (-2,9 %).

 

Les investissements dans la production de technologies propres, incluant les turbines éoliennes, les panneaux solaires, les batteries, les électrolyseurs et les pompes à chaleur ont atteint 13,9 milliards d’euros en 2023. La production de batteries représente 90 % de ces investissements. Bien que des progrès aient été réalisés pour augmenter les capacités industrielles de production de de technologies propres, la sous-utilisation des équipements et la fermeture de plusieurs usines dans les secteurs du solaire, des batteries, et des pompes à chaleur demeurent préoccupantes. Elles sont le témoin des tensions croissantes liées à la concurrence internationale et à une demande intérieure encore insuffisante. Cette tendance devrait se prolonger à court terme, dans un contexte de ralentissement attendu du déploiement des énergies renouvelables, de l’installation de pompes à chaleur et de l’adoption des véhicules électriques à batterie en 2024.

 

La nécessité d’accélérer les investissements climat pour rester aligné avec les objectifs 2030 de l’UE

Atteindre les objectifs climat et industriels fixés par l’UE à horizon 2030 nécessitera en moyenne 842 milliards d’euros d’investissements par an entre 2025 et 2030, soit 4,9 % du PIB de l’UE. Avec un volume d’investissements climat estimé à 498 milliards d’euros en 2023, le déficit d’investissements s’élève à 344 milliards d’euros, soit 2 % du PIB de l’UE.

 

La majorité des secteurs étudiés dans le cadre du présent rapport présentent un déficit d’investissement climat, dans des écarts plus ou moins marqués. Certains secteurs sont particulièrement éloignés de la trajectoire attendue pour 2030. Les investissements dans l’énergie éolienne en 2023 n’ont atteint que 29 % du niveau requis annuellement pour atteindre les objectifs 2030. De même, les investissements dans la rénovation énergétique des bâtiments s’élèvent à environ 34 % des besoins estimés. Enfin, bien que les investissements dans les réseaux électriques aient fortement progressé ces dernières années, un déficit d’investissement de l’ordre de 19 milliards d’euros subsiste. Ce déficit devra être comblé rapidement, dans la mesure où l’accès aux réseaux constitue un levier essentiel pour le déploiement des énergies renouvelables et l’électrification accrue des usages.

 

À l’inverse, trois secteurs présentent un excédent d’investissement climat, pour des raisons diverses :

 

  • Le secteur de l’énergie solaire affiche un excédent d’investissement de 10 milliards d’euros, porté par une récente accélération du déploiement des capacités photovoltaïques, qui place l’UE sur une trajectoire compatible avec cet objectif sectoriel.
  • Le secteur de la performance énergétique des bâtiments neufs affiche un excédent de 36 milliards d’euros. Cet excédent est en grande partie structurel et reflète les prévisions de la Commission européenne qui anticipent un ralentissement de la construction neuve dans les années à venir, en particulier dans le segment non-résidentiel.
  • Le secteur de la production industrielle de technologies propres affiche un excédent de 9 milliards d’euros, entièrement attribuable au segment de la production de batteries. Dans ce domaine spécifique, les investissements récents ont permis d’aligner la capacité industrielle sur les objectifs fixés par la Commission européenne dans le cadre du règlement pour une (Net-Zero Industry Act, dit NZIA).

 

L’excédent d’investissement observé dans le secteur de la performance énergétique des bâtiments neufs est de nature structurelle, lié à une diminution anticipée de l’activité de la construction dans les prochaines années. En revanche, les excédents constatés dans le solaire photovoltaïque et la fabrication de batteries sont davantage conjoncturels et traduisent un rythme d’investissement compatible avec l’atteinte des objectifs de chaque secteur en 2030. Le respect des objectifs climat et industriels de l’UE dans ces domaines suppose toutefois le maintien de ce rythme d’investissement dans la durée. Or, les projections pour 2024 indiquent un recul de 5 % des investissements dans le solaire, et de 11 % dans la fabrication de batterie. Si ces tendances devaient se confirmer, l’UE pourrait échouer à atteindre ses objectifs dans ces deux secteurs clés.

 

Perspectives pour 2030 : planifier les investissements, une priorité stratégique

En 2023, la croissance des investissements climat dans l’UE a montré un net ralentissement, et les premières analyses suggèrent un déclin de ces investissements pour l’année 2024. Pour rester sur la trajectoire permettant d’atteindre les objectifs de réduction des émissions et de développement de ses capacités de fabrication des technologies propres, l’UE doit impérativement inverser cette tendance et augmenter le rythme actuel des investissements. À défaut, elle ne manquera pas seulement ses cibles climat et industrielles : elle risque également de sous-investir dans la modernisation de ses infrastructures, dans la consolidation de son autonomie stratégique et dans le renforcement durable de sa compétitivité. Ce déficit d’investissement se traduirait alors par un coût différé plus important, tant sur le plan économique qu’écologique.

 

Dans ce contexte, plusieurs États membres font face à des pressions croissantes pour réduire leurs dépenses publiques, dans le cadre de l’entrée en vigueur des nouvelles règles budgétaires européennes. Fin 2026 est également prévu la fin de l’un des principaux outils du plan de relance européen NextGenerationEU (NGEU) : la Facilité pour la Relance et la Résilience (FRR). Les États-membres ayant bénéficié des prêts de la FRR devront commencer à les rembourser à partir de 2028, ce qui exercera une pression supplémentaire sur la capacité de dépense de l’UE, celle-ci devant également commencer à rembourser les obligations émises à ce titre. Les débats imminents sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) devront ainsi s’attacher à adapter les structures de financement aux nouvelles priorités stratégiques, à renforcer les ressources propres de l’UE, et à examiner les modalités d’un éventuel recours à un endettement commun prolongé. Si le CFP représente un outil central pour les investissements européens, il ne constitue qu’une fraction des besoins globaux. En outre, un CFP révisé et recentré ne pourrait entrer en vigueur qu’en 2028 – à seulement deux ans de l’échéance 2030.

 

Face à ces défis, l’UE doit mettre en place dès à présent un cadre d’investissement long terme coordonné, et fondé sur des données robustes, qui devra contenir une stratégie de financement claire pour soutenir les ambitions européennes en matière de climat, d’autonomie stratégique et de compétitivité. Il devra également anticiper les trajectoires d’investissements et en assurer le suivi dans le temps. La définition d’un tel cadre est d’autant plus cruciale que les marges de manœuvre budgétaires à court terme sont limitées. Une stratégie d’investissement crédible et structurée offrirait une stabilité dans un environnement incertain, renforcerait la visibilité pour les investisseurs privés et contribuerait à combler le déficit d’investissement de manière efficace et économiquement soutenable. Cette stratégie devra clarifier les rôles respectifs des financements publics et privés, en mobilisant l’ensemble des outils à disposition : leviers fiscaux, mécanismes de réduction des risques (de-risking), instruments réglementaires. Les Plans nationaux énergie-climat (PNEC) devaient évoluer pour devenir de véritables plans d’investissements à l’échelle nationale. Une stratégie efficace repose sur une connaissance fine des besoins sectoriels et des niveaux de dépenses dans chaque État membre. L’amélioration de la qualité, de la granularité et de la transparence des données constituera un levier majeur pour renforcer la redevabilité et élargir la compréhension des besoins d’investissement à d’autres secteurs essentiels, tels que l’agriculture ou l’adaptation au changement climatique.

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  • Annex 1 – Summary of figures: current climate investments and needs (2025 Edition) Télécharger
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