Recommandations pour le cadre européen de certification carbone

8 juillet 2022 - Étude Climat - Par : Adeline FAVREL / Claudine FOUCHEROT / Julia GRIMAULT / Valentin BELLASSEN

Pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE, la Commission européenne souhaite créer un cadre de certification carbone pour encourager le stockage du carbone. L’enjeu est de développer un cadre commun et harmonisé au niveau européen en s’appuyant davantage sur l’expertise acquise à travers les cadres de certification existants. Avec cette étude, I4CE propose 7 recommandations, inspirées à la fois de notre expérience concrète avec le Label Bas-Carbone auquel nous avons contribué, et de 15 ans de recherche sur la certification carbone.

 

 

La commission européenne souhaite créer un cadre de certification carbone pour inciter au stockage du carbone dans le secteur des terres

La loi européenne sur le climat (Regulation (EU) 2021/1119), publiée en juillet 2021, impose à l’UE d’atteindre un équilibre entre émissions de gaz à effet de serre (GES) et absorptions au plus tard en 2050, et de parvenir à des émissions négatives (c’est à dire une absorption nette) par la suite.

 

Actuellement, le secteur agricole est émetteur net et les puits de carbone européen diminuent depuis plusieurs années. Or, le secteur des terres est essentiel pour parvenir à une économie neutre en carbone, car il peut capter le CO2 de l’atmosphère et le stocker dans les sols et la biomasse. Pour encourager ce secteur à mener à bien des actions en faveur du climat, il est nécessaire de créer des incitations financières pour aider les gestionnaires des terres à augmenter considérablement les puits de carbone. Afin de garantir leur efficacité, ces financements doivent s’accompagner d’outils pour mesurer l’impact réel des actions financées.

 

Dans cette optique, la Commission européenne (CE) a adopté en décembre 2021 la communication sur les Cycles de carbone durables (Commission européenne, 2021) qui prévoit notamment de construire un cadre de certification carbone européen afin de garantir l’impact des projets financés. Une multitude de cadres publics et privés existent d’ores et déjà en Europe et à l’international, mais ils n’ont pas les mêmes niveaux d’exigence et les mêmes règles de Monitoring, Reporting et Verification (MRV) des réductions d’émissions.  Le défi sera de développer un cadre commun et harmonisé au niveau européen sans réinventer la roue, autrement-dit, en s’appuyant mieux sur l’expertise acquise via les cadres de certification existants.  Après une consultation publique ouverte début 2022, la proposition de règlement devrait être publiée d’ici la fin de l’année.

 

 

7 recommandations issues de l’expérience française du Label Bas Carbone

Nous proposons 7 recommandations, inspirées à la fois de notre expérience concrète avec le Label Bas Carbone français auquel I4CE a contribué et de 15 années de recherche sur la certification carbone. Le choix de ces 7 recommandations a été fait en fonction des sujets qui font le plus l’objet de débats au niveau européen (recommandations 1 à 5) et des innovations proposées et expérimentées dans le Label Bas Carbone (recommandations 2, 6 et 7).

 

Recommandation 1 : Etendre le dispositif aux réductions des émissions agricoles

Aujourd’hui, le cadre proposé par la Commission Européenne ne concerne que les absorptions de CO2, et non les réductions d’émissions qui seraient couvertes par d’autres mécanismes. Or, il nous semble nécessaire d’inclure dans le périmètre du cadre de certification non seulement le stockage mais aussi, les réductions d’émissions de N2O et CH4 du secteur agricole ainsi que les réductions d’émissions indirectes (émissions qui sont liées au projet mais ont lieu en dehors du périmètre du projet). Sans cette vision globale de l’impact climatique d’un projet, il y a un risque de favoriser des pratiques ayant un impact net négatif. Prenons par exemple le cas d’un projet de production de biomasse, qui a fortement recours aux engrais azotés. Avec le périmètre choisi aujourd’hui, on ne comptabiliserait que la séquestration du carbone liée à la biomasse et non les émissions liées aux engrais.

 

Cependant, ce point suscite d’importants débats car certains acteurs y voient le risque qu’une augmentation des absorptions cache un manque d’ambition pour atteindre les objectifs de réductions d’émission.  Or, élargir le périmètre ne veut pas dire fusionner les deux objectifs distincts. A l’instar de ce qui est imposé dans le cadre du Label Bas Carbone, une comptabilisation différenciée des réductions d’émissions et des absorptions permet de suivre l’évolution du puits de carbone d’un côté et des émissions agricoles de l’autre, et permet ainsi d’éviter le risque d’opacité entre les objectifs.

 

Recommandation 2 : Assurer une intégrité environnementale forte

L’atteinte des objectifs climatiques ne doit pas faire oublier les autres enjeux de durabilité, pour garantir l’intégrité environnementale des projets mais aussi leur acceptabilité. La bonne intégration cde ces enjeux doit ainsi être discutée avec les parties prenantes et la communauté scientifique.

 

Plusieurs options sont testées ou discutées dans le cadre du Label Bas carbone :

 

  • La mise en place de garde-fous tels que la densité maximale de bétail par hectare, un nombre minimum d’espèces d’arbres, ou encore l’interdiction du labour en forêt. Ils permettent de s’assurer qu’il n’y a pas d’impact négatif majeur sur d’autres enjeux de durabilité sans augmenter excessivement les coûts de suivi.
  • Le développement d’indicateurs pour le suivi spécifique d’enjeux autres que le carbone (biodiversité, sols, impacts socio-économiques…). Cela a l’avantage de permettre la valorisation des co-bénéfices supplémentaires mais est plus coûteux à mettre en place.
  • Pour le secteur agricole, une comptabilisation des émissions à l’hectare plutôt que sur la base de la quantité produite. L’intensité par hectare peut favoriser le passage d’une agriculture intensive à une agriculture plus extensive, là où l’intensité par produit peut favoriser l’optimisation.

 

Recommandation 3 : diversifier les sources de financement

De nombreux acteurs s’interrogent aujourd’hui sur la finalité d’un outil comme la certification carbone : compensation carbone volontaire ou contribution volontaire à l’effort climatique global, marché de conformité (ETS), outil dans le cadre des Eco-schemes de la Politique agricole commune (PAC), etc. Au regard aujourd’hui du prix moyen de la tonne de CO2 avec le Label bas Carbone, le futur cadre européen devrait davantage être considéré comme un outil permettant de canaliser plus efficacement les différentes sources de financements vers des projets à faible émission de carbone ou impact carbone positif que comme un simple outil de compensation carbone. La question n’est donc pas « qui doit financer ces projets ? » mais « comment coordonner les différentes sources de financement ? ».

 

Recommandation 4 : Passer d’un marché carbone à une réglementation sur l’atténuation

Le futur cadre de certification, d’application volontaire, est une opportunité pour tester différentes pratiques et ainsi produire des données sur les coûts d’abattements de ces pratiques. Dans un second temps, ces données permettront de proposer là où c’est pertinent des politiques climatiques contraignantes, telles qu’une réglementation qui permettrait de renforcer l’ambition climatique.

 

Recommandation 5 : gouvernance : proposer un cadre européen de certification s’appuyant sur les labels existants en les nivelant par le haut.

La question de l’avenir des labels et certifications existants est prégnante auprès des acteurs déjà engagés dans les processus de certification. Il sera sans doute nécessaire d’avoir un plus haut niveau de centralisation pour garantir que la certification à la même valeur partout en Europe. Dans un premier temps, la Commission européenne devrait définir des lignes directrices générales communes de Monitoring, Rapportage et Vérification (MRV) laissant la possibilité aux cadres et méthodes respectant ces règles de continuer à être utilisés.

 

Recommandation 6 : utilisation du rabais dans la définition du cadre de MRV

La question de l’accessibilité en termes de coûts financier et administratif à la certification est un point de vigilance d’une partie des acteurs. L’utilisation du principe du rabais dans la définition des règles de MRV permet de trouver un équilibre acceptable entre la précision, la robustesse de la certification et les coûts associés. Un rabais correspond ainsi à une décote des réductions d’émissions permises par le projet, qui accompagne des choix méthodologiques moins précis. Le principe du rabais permet ainsi de garantir la crédibilité des crédits carbone tout en offrant la possibilité d’utiliser des options moins strictes pour évaluer l’impact carbone d’un projet.

 

Recommandation 7 : avoir une approche pragmatique pour ne pas décourager l’action.

En dernier lieu, il convient d’avoir une approche pragmatique afin de ne pas décourager l’action ou de nuire à la crédibilité du système. 1) Concernant la double-revendication : l’État français considère que le même gain carbone peut être comptabilisée deux fois à deux niveaux différents : une fois dans le bilan carbone d’une entreprise et une fois dans l’inventaire national du pays, car il s’agit de deux niveaux de comptabilité distincts. 2) Concernant le risque de non-permanence :  il est parfois demandé d’étendre la vérification et les contrôles des projets forestiers sur plusieurs décennies. Cette perspective est hautement improbable et de fait peu crédible. Le mieux peut être l’ennemi du bien et il nous semble important de s’en tenir à des règles claires et surtout vérifiables sur le terrain.

 

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