Cadre de certification européen : une esquisse de qualité qui ne garantit pas la valeur du tableau final

Les co-législateurs européens viennent de se mettre d’accord en trilogue sur le contenu du futur cadre de certification carbone européen (Carbon Removal Certification Framework, CRCF en anglais). Des négociations fructueuses et rapides dans un contexte de recul général sur l’adoption des différents textes du Green Deal. À l’heure où environnement et revenus des agriculteurs sont mis en opposition, ce projet de règlement rassemble ces deux enjeux pour créer des conditions d‘investissement dans la transition agricole et forestière. De nombreux détails restent cependant à clarifier pour que ce cadre permette des financements à la fois efficaces et ambitieux pour le climat.

 

Un cadre limité aux absorptions de carbone et aux réductions d’émissions liées aux sols

Alors que la proposition initiale de la Commission ne concernait que les absorptions au sens strict, les co-législateurs ont décidé d’élargir le périmètre pour inclure les réductions d’émissions liées aux sols agricoles, qu’elles concernent le CO2 ou le N2O. Cet élargissement est logique tant les cycles de ces deux gaz sont interconnectés, mais la négociation n’était pas gagnée d’avance. L’expérience du Label bas-carbone a montré que cette approche de bilan GES intégré à l’échelle de la ferme, qui combine réductions d’émission et absorptions est plus efficace pour assurer la transition. Elle évite aussi des effets pervers où la séquestration de CO2 dans les sols s’améliore, malgré une augmentation concomitante des émissions de N2O, par exemple par fertilisation azotée des prairies.

 

Mais seule une partie du chemin a été parcourue car les émissions de méthane, majoritairement liées à l’élevage, ne sont pas incluses alors qu’elles représentent 65 % des émissions de GES de l’agriculture européenne. L’accord en trilogue fixe une clause de revoyure en 2026 pour leur éventuel ajout et demande à la Commission de produire une méthode pilote d’ici là. Gageons que l’élargissement du périmètre aura lieu pour que l’élevage bénéficie aussi des financements drainés par le CRCF pour enclencher sa nécessaire transition.

 

Enfin, la différenciation des absorptions et des réductions d’émission en unités distinctes est à saluer, car cela assurera la transparence et la lisibilité des communications et revendications des financeurs.

 

Quel modèle économique pour des crédits temporaires ?

Les discussions sur le risque de réémission du carbone séquestré (aussi appelé risque de non-permanence) dans les sols et la biomasse ont occupé le devant de la scène lors des premiers débats du groupe d’expert chargé d’appuyer la Commission européenne dans la rédaction des méthodes de certification. Le risque de réémission du carbone peut-être le fait du porteur de projet, en cas d’arrêt des pratiques par exemple, ou simplement le fait d’aléas naturels, renforcés par le changement climatique (dépérissements ou incendies forestiers par exemple). Différents outils, appelés ici « mécanismes de responsabilités », existent déjà pour prévenir ces risques au niveau global : rabais sur le nombre de crédits générés, mise en réserve de certificats, assurance…

 

Au-delà du recours à ces mécanismes, l’Europe se dirige également vers des certificats temporaires pour gérer le risque de réémission (d’après les versions provisoires du règlement). Ce choix interroge :

 

 

La traduction méthodologique de ce concept de « certificat temporaire » sera donc cruciale pour ne pas décourager les financements privés de se tourner vers les secteurs agricoles et forestiers.

 

Des garde-fous pour l’intégrité environnementale

Le règlement adopté à titre provisoire demande aux projets agricoles et forestiers de produire des effets positifs sur la biodiversité. Un concept intéressant pour améliorer l’intégrité environnementale du dispositif mais dont la traduction concrète sera complexe au vu du manque d’indicateurs consensuels et opérationnels pour mesurer la biodiversité.

 

Sur un autre thème, les législateurs affirment à la fois vouloir encourager les changements de pratiques, tout en récompensant les pionniers du Carbon Farming. Deux objectifs louables mais qui semblent difficilement conciliables pour un même usage des certificats. Sauf à tolérer une part d’effet d’aubaine, alors peu compatible avec les critères d’additionnalité requis sur les marchés carbone.

 

Le faux problème du double compte État / financeur est écarté

L’issue du trilogue indique clairement que les certificats européens participeront aux Contributions Déterminées au niveau National (CDN) européennes et à celle d’aucun autre État. Cela va dans le sens des propositions faites par I4CE depuis dix ans de considérer que la contribution aux objectifs d’atténuation nationaux ou européens est légitime et nécessaire et n’empêche pas la revendication de financements par des acheteurs volontaires. Les deux ne peuvent pas s’additionner car il n’y a qu’un seul système de comptabilité réglementaire dans l’Accord de Paris : celui des États. Ce principe est appliqué depuis 5 ans pour le Label bas-carbone sans que cela n’altère l’intégrité environnementale des contributeurs carbone ou de la France.

 

Vers une utilisation plurielle des certificats ?

L’Europe fait le choix de ne pas traiter directement dans ce règlement de l’utilisation qui peut être faite des certificats européens. L’encadrement de leur utilisation est prévu par d’autres textes, notamment la Directive Green Claims. Le contrôle des allégations climatiques devra être important dans la législation européenne dédiée pour éviter les procès en greenwashing. Alors que la certification carbone est aujourd’hui l’apanage des marchés carbone volontaires, ce cadre apportant des garanties d’impact climatique à l’échelle d’un projet a toute son utilité pour flécher d’autres sources de financement. L’Europe ouvre cette voie prometteuse en expliquant que les usages des certificats pourront être nombreux : financements publics, marchés carbone volontaires et dans le futur, marchés réglementaires. Cette ouverture est indispensable car le besoin de financement pour la transition des secteurs agricole et forestier est tel qu’il sera nécessaire de combiner les sources. Mais des règles du jeu devront être clairement énoncées pour que ces financements se combinent de manière efficace. Une vision pragmatique sera alors nécessaire pour qu’à la fois les acteurs de la chaine de valeur et les acteurs en dehors de cette chaine de valeur puissent contribuer au financent de la transition. Les propositions d’I4CE basées sur l’expérience du Label bas-carbone apportent des réponses qui pourront être utiles au niveau européen.

 

Le travail ne fait que commencer

Le texte fixé par les co-législateurs européens apporte un cadre ambitieux et unique à l’échelle continentale. Mais de nombreux sujets méthodologiques sont renvoyés au travail de la Commission et du groupe d’experts qui se traduira par des actes délégués. Comme le diable est dans les détails, la pertinence et l’intégrité du dispositif seront entre les mains de la Commission qui devra trouver un juste équilibre entre ambition et opérationnalité. Les prochains mois seront cruciaux pour déterminer quelles méthodes sont prioritaires dans le calendrier de la Commission. I4CE aura à cœur de montrer que des méthodes du secteur des terres doivent être en haut de la pile, en particulier si elles sont sans regrets, riches de co-bénéfices environnementaux ou importantes pour l’adaptation aux changements climatiques. Le projet Horizon Europe INFORMA apportera par exemple des recommandations techniques pour la certification des projets forestiers. Alors que le Label bas-carbone continue de monter en puissance et que d’autres pays Européens (Irlande, Portugal) créent leur standard de certification national, le nouveau cadre européen devra également rechercher la complémentarité avec ces dispositifs et donner de la visibilité aux acteurs sur l’articulation des différentes échelles.

 

Le Carbon Farming Summit de Valencia et la réunion printanière du groupe d’expert seront deux moments cruciaux des prochains mois pour avancer sur l’implémentation méthodologique du CRCF.

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